Les écueils des nouveaux systèmes d'armes.
Problématiques au prisme du droit des conflits
et de la sauvegarde de la paix
*
The pitfalls of new weapons systems. Problems with the prism
of law of conflicts and safeguard of peace
Las trampas de los nuevos sistemas de armas.
Problemas con el prisma de la ley de los conflictos y la
salvaguardia de la paz
Doctorant en public droit, Université de Rouen, Francia
serge.bambara1@univ-rouen.fr [Link]
RÉSUMÉ
Cet article de réflexion a pour objet de décrypter les problématiques liées à l'automatisation et l'autonomisation des
armes et, d'autre part, de montrer en quoi cela pourrait représenter une menace pour le droit des conflits et la paix de
façon générale. Pour arriver a cette finalité, l'auteur prends la définition sur le système d'arme autonome (ou robot tueur)
lequel est capable de cibler et d'initier potentiellement l'emploi de la force létale sans supervision humaine directe et sans
implication humaine directe dans la décision de recourir à la force létale. L'hypothèse proposée consiste au
développement de ces armes et leur introduction dans certaines hostilités pour modifier la nature des conflits et du droit y
afférent. L'auteur a également l'intention de démontrer que l'utilisation des systèmes d'armes automatiques et
autonomes crée de véritables écueils aux principes du droit des conflits et des incertitudes à la garantie de la paix.
MOTS CLÉS
Armes Létaux Autonomes; Contrôle des Armes; Droit des Conflits ; Portes D'armes.
ABSTRACT
This article aims to identify the problems related to the automation and autonomation of weapons, and to demonstrate
how this could be a threat to the Law of Conflicts and to peace. The author takes into account the definition of the
'autonomous weapons systems' (or killer robots) which can prompt and potentially initiate the use of lethal force without
direct human supervision nor participation in making the decision regarding the use of this force.
The proposed hypothesis consists of the development of these weapons and their incompatibility with the nature of conflicts and related law. Furthermore, the author aims to demonstrate that the use of automatic and autonomous weapons obstructs the Law of Conflicts' principles and creates uncertainty for the guarantee of peace.
KEYWORDS
Bearing of Weapons; Law of Conflicts; Lethal Autonomous Weapons; Weapon Control.
RESUMEN
Este artículo pretende descifrar los problemas relacionados con la automatización y la autonomía de las armas, y
mostrar cómo esto podría representar una amenaza para la ley de los conflictos y la paz en general. Para lograr este fin,
el autor toma la definición del 'sistema autónomo de armas' (o robot asesino) que puede apuntar y potencialmente iniciar
el uso de la fuerza letal sin supervisión ni participación humana directa en la decisión de usarla. La hipótesis propuesta
consiste en el desarrollo de estas armas y su introducción en ciertas hostilidades para modificar la naturaleza de los
conflictos y el derecho relacionado. El autor también tiene la intención de demostrar que el uso de sistemas de armas
automáticas y autónomas crea verdaderos obstáculos en los principios de la ley del conflicto e incertidumbres en la
garantía de la paz.
PALABRAS CLAVE
Armas Autónomas Letales; Control de Armas; Ley de los Conflictos; Porte de Armas.
INTRODUCTION
Qui veut la paix prépare la guerre! (Si vis pacem, para bellum). Cet adage n'est pas simplement une figure rhétorique mais bien un credo qui a longtemps commandé les choix politiques et déterminé la conception de la dialectique entre la paix et la guerre. Voltaire ne disait-il pas d'ailleurs que la paix est fille de la guerre? Aussi aberrant que cet adage pourrait paraître, il n'envisage pas pour autant que la paix se conquiert au prix de la guerre. Aristote le souligne justement dans l'Ethique à Nicomaque en affirmant que "personne ne choisit de faire la guerre pour la guerre, ni ne prépare délibérément une guerre"1. Tout de même, les derniers siècles ont donné de constater que si les États ne recourent pas délibérément à la guerre dans l'ultime finalité de gagner la paix, ils préparent l'éventualité de la guerre par la course aux armements et le développement technologique des armes. Si l'inévitabilité de la guerre est attestée par l'histoire des conflits, la politique frénétique du développement des armements peut paraître antinomique avec la recherche de la paix.
Cette relation aporétique n'est toutefois pas étrangère aux politiques des États puisque la course aux armements est un phénomène très ancien et réside en une compétition pour la possession de la plus grande quantité et de la meilleure qualité d'armes possible2. Il suffit d'évoquer les tribus primitives qui accumulaient d'importantes quantités de pierres pour l'édification de leurs fortifications et pour bombarder leurs ennemis et aussi les armées à l'âge industriel, qui recouraient aux techniques pour améliorer la qualité des armes pour les rendre plus performantes que celles de l'adversaire3 pour étayer ce fait.
Ainsi, l'histoire démontre que la recherche de la paix n'empêche pas le développement des armes. Si les armes ne créent pas par elles-mêmes la paix, pour les partisans de la paix armée, cette idée de "destruction mutuelle assurée" suffit à retarder autant que possible la survenance des conflits armés4. Cependant, aujourd'hui, cette théorie de la garantie de la paix par l'équilibre de la terreur est-elle viable? En d'autres termes, la course aux armements, par leur perfectionnement technologique, n'est-elle pas antinomique avec la recherche de la paix aujourd'hui?
Affirmer que les armes assurent la paix pourrait être séditieux au regard de la subversion actuelle entre l'utilisation des systèmes d'armes automatiques et la recherche de la paix. En effet, le progrès technologique a entrainé la robotisation, l'automatisation et l'autonomisation de certains moyens de guerre. Ces armes posent aujourd'hui d'énormes défis du fait que leur conception et leur utilisation entrainent des problématiques de plusieurs ordres. Ces ordres intéressent à la fois la garantie de la paix et l'intelligibilité du conflit et du droit y afférent.
Cette réflexion aura pour objet, d'une part, de décrypter les problématiques liées à l'automatisation et l'autonomisation des armes et, d'autre part, de montrer en quoi cela pourrait représenter une menace pour le droit des conflits et la paix de façon générale.
Nous prendrons, dans l'esquisse de cette étude, la définition proposée par le philosophe Peter Asaro, pour qui le système d'arme autonome (ou robot tueur) est celui qui "est capable de cibler et d'initier potentiellement l'emploi de la force létale sans supervision humaine directe et sans implication humaine directe dans la décision de recourir à la force létale". Selon Christopher Heyns, rapporteur aux Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, les systèmes d'armes létales autonomes se réfèrent "aux systèmes d'arme robotique qui, une fois activée, peuvent sélectionner et engager des cibles sans l'intervention d'un opérateur humain. (…) le robot dispose d'un choix autonome dans la sélection de l'objectif et l'usage de la force létale"5. C'est le cas par exemple, de "Aegis"6 (Etats-Unis) et de "Harpy"7. Le système d'arme automatique, quant à lui, est un système d'arme, volant sans équipage, programmé ou piloté à distance sous la supervision humaine et capable d'engager l'emploi de la force létale.
De récente apparition, en commençant par les premières ébauches sur le drone, la réflexion autour des systèmes d'armes autonomes au plus haut niveau international n'est qu'embryonnaire quoiqu'en constante expansion. Les défis qu'ils suscitent pour le droit international et le contrôle de l'armement sont, depuis quelques années à l'ordre du jour des organisations internationales. C'est le cas de la "réunion informelle d'experts sur les Systèmes d'Armes Létaux Autonomes (SALA)" tenue à Genève du 13 au 16 mai 2014, celle du 10 au 14 novembre 2014, et du 13 au 17 avril 20158. Les réflexions autour des armes autonomes et automatiques ne sont cependant pas orientées spécifiquement vers les relations aporétiques qu'elles entretiennent avec la recherche de la paix. Cet état des faits donne ainsi à notre réflexion tout son intérêt. Ce qui pourrait au surplus démontrer de la pertinence actuelle d'une réflexion juridico-philosophique sur les systèmes d'armes autonomes et automatiques et les défis qu'ils poseraient précisément pour la paix.
Partant de l'hypothèse selon laquelle le développement de ces armes et leur introduction dans certaines hostilités pourraient modifier la nature des conflits et du droit y afférent, nous tenterons de démontrer que l'utilisation des systèmes d'armes automatiques et autonomes crée de véritables écueils aux principes du droit des conflits (I) et des incertitudes à la garantie de la paix (II).
1. L'UTILISATION DES SYSTEMES D'ARMES ET LA VIOLATION DU DROIT DES CONFLITS
Dans la déclaration de Saint-Pétersbourg de 1868, la conception du conflit armé et des opérations militaires était relativement claire. Elle consistait en l'affaiblisse- ment des forces militaires de l'ennemi9. "Désarmer l'adversaire, tel est le but du combat"10. D'ailleurs, dans le mémoire du CICR sur la protection des populations civiles contre les dangers de la guerre indiscriminée adressé le 19 mai 1967 à tous les gouvernements, le CICR notait que dans l'intelligibilité de la guerre, il ne s'agissait pas seulement d'épargner les civils ou les personnes qui ne participent plus aux hostilités, mais aussi de ne pas infliger aux combattants de graves souffrances disproportionnées comme les tuer alors que cela n'était pas nécessaire11. Or, dans le cadre par exemple des systèmes d'armes autonomes capables d'agir seuls sans supervision humaine, il y a une sorte d'essentialisation de la mort. Etant orientés davantage vers la létalité, ils n'offrent pas d'énormes alternatives dont certaines armes ou des soldats au sol pourraient disposer comme celles par exemple de désarmer l'ennemi, le neutraliser sans engager sa vie et plus généralement de le mettre hors d'état de nuire. Ainsi, l'utilisation des systèmes d'armes pourrait entrainer des manquements à certains principes du droit international humanitaire (B). Ces manquements pourraient trouver par ailleurs leur source dans le délitement des déterminants des conflits (A).
1.1. Le délitement des déterminants du conflit
Clausewitz affirmait dans De la guerre, que la guerre renferme deux propriétés essentielles: La belligérance et l'affrontement. Les deux parties doivent se reconnaître comme ennemies et accepter la lutte. Si, à l'agressé, on ôte le droit ou l'existence d'une probable résistance ou d'une riposte à l'attaque dont il a été victime, il n'y a pas de guerre. Cette conception reste bien évidemment discutable mais pour Clausewitz, seule la défense possède le pouvoir de transformer une agression en guerre effective (Clausewitz, Carl V., 1865). Ce que cette conception renferme concerne moins l'égalité des capacités d'attaque ou de réaction ou des puissances de nuisance des parties adverses que l'égalité ontologique du droit de combattre dans le conflit et l'hypothèse de l'affrontement. Aussi, selon François Laurent, les attributs de la guerre reposent sur le principe d'une égalité du droit de tuer12 autrement appelé égalité juridique des combattants13. Cette égalité implique donc "le respect d'un droit à la possibilité de se défendre, dont on ne sait pas quels seraient les attributs positifs mais qui, au moins, négativement, prohiberait l'usage d'armes qui supprimeraient, a priori, une telle possibilité".
Ces hypothèses et possibilités, dans le cadre de l'utilisation des systèmes d'armes autonomes et automatisés volent en éclats puisque les robots tueurs ne donnent pas de droit de belligérance à l'ennemi. Les propriétés des robots tueurs et des drones renferment justement l'idée de tuer à distance, d'enlever à l'adversaire le pouvoir ou la possibilité de contre-attaquer ou même d'identifier la belligérance. Ce serait dans ce cas, une belligérance anonyme. Dans le sens commun, en effet, le robot tueur ou le drone est conçu pour mener des hostilités mais n'est pas un combattant. Il est un moyen totalement anonyme d'attaquer sans être attaqué. Cette absence de belligérance peut soulever vraisemblablement un problème relatif à l'existence d'un conflit armé au sens du droit international humanitaire ou même du droit international. Sur cette considération et pour démontrer cet absentéisme, la grande question qui demeure posée est de savoir, si le robot tueur n'est pas le combattant à l'évidence dans le cadre des conflits dans lesquels il est utilisé, qui du fabriquant, du programmeur, de l'opérateur à distance -dans le cas des drones- l'est ? On y perçoit donc une forme d'absentéisme -ou dans une certaine mesure une délégation du combat- de la partie adverse avec l'utilisation des robots tueurs. Dans cette dernière hypothèse donc, un des attributs des conflits s'envolerait et, avec lui, toutes ses implications. Chamayou le soulignait justement en affirmant qu'avec l'idéologie de l'utilisation des drones et a fortiori des robots tueurs, la "guerre n'est plus pensée en sa structure fondamentale comme un duel". Le paradigme n'est plus celui de deux lutteurs qui se feraient face mais d'un chasseur qui s'avance, et une proie qui fuit ou se cache [et qui ignore peut-être qu'il est en situation de belligérance ou en conflit avec une autre partie]14. Paul Khan, quant à lui, attirait l'attention sur les dérives ontologiques "du conflit sans risque"15 qui fragiliserait au-delà du fondement traditionnel du droit de tuer, la conception intrinsèque du conflit16. Pour Khan, la guerre est une situation de risques mutuels. Dès lors qu'il n'existe plus une réciprocité dans les risques qu'ont les parties à faire la guerre, il n'y a plus de guerre17. Les robots tueurs dénient ce support structurel du conflit puisque la partie adverse a affaire à une machine sans réciprocité de risques.
Ensuite, l'utilisation des armes automatiques et autonomes entraine la désagrégation du tempus belligerendi et l'érosion du locus belligerendi. En effet, s'agissant d'abord du locus belligerendi, les armes automatiques telles les drones pilotés à distance donnent à ses manipulateurs ou programmeurs les possibilités de les contrôler à distance ou soit de les faire agir de façon autonome en dehors du cadre de leurs constructeurs, manipulateurs ou de leurs expéditeurs; On perçoit que la facilité de mobilité du robot est telle qu'il peut poursuivre les personnes ciblées partout où elles sont. Tous les lieux deviennent, dans cette configuration, potentiellement des zones de conflits pour le robot tueur et aussi pour les personnes qu'ils attaquent18. Concernant ensuite le tempus belligerendi, dans un rapport "vivre sous les drones" établi en 201219, le Stanford International Human rights & Conflict resolution clinic rapporte un témoignage d'un habitant du Pakistan qui affirme que les drones les surveillent de façon permanente et sont toujours audessus d'eux sans qu'ils ne sachent quand ils vont frapper20. Cette situation est certes anecdotique mais cristallise tout le problème avec les robots tueurs. Les actions menées ne s'attachent plus au temps de conflit. La preuve est qu'en Somalie, au Pakistan et au Yémen, les drones frappent sans qu'il n'y ait, au sens du droit international, un conflit armé21. En redéfinissant la notion de temps de conflit comme subjectivement rattaché au moment où la personne de l'ennemi est exposée et donc attaquable, on en arrive à agir, juridiquement, en temps de paix comme en temps de conflit armé.
1.2. Le délitement des principes du droit des conflits
En droit international, c'est Grotius qui, dans son ouvrage De iure belli ac pacis, publié en 1625, a fait reconnaître la nécessité "temperamenta belli", d'imposer les limites à la fureur des armes. Cette règle a deux implications: d'une part, les armes doivent, dans leur utilisation, permettre de respecter les lois et coutumes de la guerre et, d'autre part, n'importe quelle arme ne peut être utilisée pour nuire à l'ennemi car l'atteinte de l'ennemi doit être proportionnelle à la nécessité et l'objectif de l'attaque. Ce principe d'évitement des maux superflus a été consolidé dans la pratique de 1625 à 1907. Le règlement de la Haye de 1907 l'énonce implicitement à son article 22 sous la forme suivante: "Les belligérants n'ont pas un droit illimité quant au choix des moyens de nuire à l'ennemi"22. L'article 23 du règlement énonce clairement qu'il est interdit de "tuer ou de blesser un ennemi qui, ayant mis bas les armes ou n'ayant plus les moyens de se défendre, s'est rendu à discrétion23 [...] et d'employer des armes, des projectiles ou des matières propres à causer des maux superflus"24. Le CICR, dans ses travaux préparatoires à la conférence des experts gouvernementaux, en 1971, avait justement milité pour que les belligérants s'abstiennent de recourir ou d'employer des armes propres à causer des maux superflus ou qui ne pouvaient, dans leurs propriétés, respecter cette obligation25. Cette idée est bien antérieure au protocole de 1977 car dans la déclaration de Saint Pétersbourg de 1868, il est fait mention d'un principe de "prohibition des armes qui aggraveraient inutilement les souffrances des hommes mis hors de combat ou rendraient leur mort inévitable"26. Certains robots tueurs ne peuvent remplir ces prescriptions car des alternatives autres que la létalité ne sont pas incluses dans leurs propriétés. C'est l'exemple du robot tueur fire and forget "tire et oublie" qui est un robot autonome après lancement qui se passe des moyens classiques de désignation de la cible pour ouvrir le feu selon ses propres caractéristiques. Il ne connait pas, dans ce cas, d'autres moyens alternatifs de combat. Il peut être déduit ainsi que l'évitement des maux superflus ne peut objectivement être pris en compte par les robots27 car ils ne disposent pas d'autres options comme l'humain28. La menace du dépérissement du droit des conflits avec l'ère des systèmes d'armes létales peut se déceler aussi à travers le galvaudage du principe cardinal de distinction.
Un des griefs opposés à l'utilisation des robots tueurs concerne le principe de distinction entre combattant et non combattant joint à la notion de participation aux hostilités. L'application de cette notion, par les forces armées, n'est pas toujours évidente puisqu'il y a toujours des violations liées à la difficulté de distinction. Pour des robots qui n'ont pas les facultés et le sens humains ou dont les manipulateurs ne sont pas de façon effective sur le champ de conflit, il sera difficile de déceler selon les critères de la participation aux hostilités, qui est attaquable ou pas (Kenneth, A. 2010. P.12). Se réfugier derrière la notion de précision du ciblage peut paraître dérisoire car, à l'évidence, on peut bien cibler et atteindre une personne sans que cette attaque précise ne nous garantisse qu'il s'agisse d'une personne qui n'avait pas une inviolabilité absolue en vertu du droit. Malgré tous les repérages et précautions possibles, à quoi reconnaît-on dans une zone de conflit, un civil qui participe aux hostilités? Comment son lien de belligérance se détectet- il quand il ne porte pas les armes ni un signe distinctif ou lorsqu'il n'agit pas de façon flagrante dans le cas de la lutte contre le terrorisme? On constate d'ailleurs, lorsque les opérateurs de drones visent des ennemis sans uniformes dans des zones hors conflits, que le statut de combattant ou de personne susceptible d'être attaquée, ne se perçoit pas par un signe distinctif conventionnel. Sur quel fondement par exemple un drone autonome peut-il agir dans ce cas? Le cas rapporté par Grégoire Chamayou donne de percevoir la perniciosité de la guerre à distance: en 2011, John Brennan affirmait que l'utilisation des drones armés par les États-unis pour l'année écoulée, n'avait enregistré aucun dommage collatéral; ce qui donnait plus de crédit donc aux drones. Sauf qu'après investigations du New York Times, il s'est révélé que dans le décompte macabre, tout individu masculin en âge de combattre et présent dans une zone de conflit, était considéré comme combattant jusqu'à ce que des "renseignements explicites" ultérieurs démontrent le contraire. Cela signifie que le statut de personnes attaquables n'est plus donné par des critères objectifs mais par des critères subjectifs comme la présomption.
La conceptualisation du robot introduit par sa seule existence les germes de sa propre subversion puisque l'aporie du drone repose sur l'abolition en pratique de ce qui forme la condition même de cette capacité, à savoir le combat. En privilégiant le conflit à distance, le robot tueur, et particulièrement le drone armé, annihile du même coup la faculté pratique de distinction et de discrimination par ricochet. En supprimant l'affrontement, il prive de la possibilité de reconnaître ceux qui participent aux hostilités.
En 1955, Huber, M. attirait l'attention sur le développement technologique appliqué aux armes et le risque de la déshumanisation de la guerre qui mettraient en danger les principes humanitaires. Il affirmait en effet que "[...] si l'on continue à exploiter à des fins guerrières les possibilités techniques qui s'ouvrent [...], l'existence et la valeur de tout ce qui reste du droit de la guerre et même du droit des gens en général deviendra problématique". Le spectre de cette situation se profile déjà de façon perceptible avec les robots. Ce qui n'est pas de bon augure pour les déterminants de la paix.
2. L'UTILISATION DES SYSTEMES D'ARMES ET LES INCERTITUDES A LA PAIX
Georges Orwell, dans son roman 1984, disait que la guerre devient erronée dès lors que ses éléments factuels cessent de la déterminer. Se produisant partout et de façon continue, elle ne peut plus se distinguer de la paix. La guerre, c'est la paix (Orwell, G. 1984; Gallimard, 1950). L'avènement et l'utilisation des systèmes d'armes automatiques et autonomes dans certaines situations corroborent aujourd'hui cette réalité. Concrètement, l'utilisation des systèmes d'armes autonomes et automatiques engendre des menaces à la paix (A) et entraine la globalisation (B) et la permanence de l'état de conflit (C).
2.1. Les écueils à la garantie de la paix
La guerre déléguée à distance évite l'affrontement et constitue une menace pour la paix à trois égards :
D'abord, en enlevant à l'adversaire la possibilité matérielle de faire la guerre, une dynamique de légitimité de la mort s'installe, surtout dans le cadre du terrorisme. Les systèmes d'armes autonomes ou automatiques donnant la faculté de tuer sans se faire atteindre physiquement par l'adversaire, ils permettent de fonder ainsi la mort de l'ennemi sur le mérite de la mort et, par ricochet, d'utiliser tout moyen pour ce faire29. Il institue ainsi un droit unilatéral de la guerre fondé sur l'idée de guerre juste (et fondé sur le mérite de la mort des personnes ciblées). Ce sentiment de guerre légitime constitue cependant une menace pour la paix dans la mesure où, pour peu que ce sentiment prévale, il donnerait le droit d'utiliser un robot tueur ou un drone pour mener une attaque sans qu'il n'y ait à proprement parler de conflit.
Ensuite, l'utilisation des systèmes d'armes autonomes et automatiques permettra plus facilement de contourner les principes fondamentaux de la Charte des Nations unies comme le non recours à la force ou du respect de l'intégrité du territoire du fait qu'il est possible à distance de mener une guerre anonyme. Aussi, si les conditions matérielles ou même juridiques de faire la guerre ne sont pas réunies -ou tout simplement pour ne pas verser dans un conflit ouvert- il pourra être possible, par un système piloté à distance ou programmé, de "cibler et de tuer certaines personnes". Cette idée, cependant, de "faire la guerre" (cibler et tuer un ennemi) même lorsqu'il n'y a pas de conflit armé, crée un climat de guerre perpétuelle, ce qui constitue un danger évident pour la paix et la sécurité.
Enfin, la guerre à distance, au moyen de ces armes, entraîne une facilité de la conflictualité. On pourrait faire valoir aussi que le développement des technologies est telle aujourd'hui qu'il est plus facile de mener la guerre loin du pays d'envoi avec des avions ou en déplaçant plus rapidement des soldats de Washington à Saana qu'il y a des années; sauf qu'avec les systèmes d'armes autonomes et automatiques, l'objectif principal est de ne pas déplacer justement des militaires et d'éviter les risques humains. Ces raisons entrainent par contrecoup la faculté d'agir en évitant les écueils des conflits et sans qu'il n'y ait un coût humain. En conséquence, les enfants, les épouses, les époux et les parents n'auront plus à pleurer ni à protester30. Les répercussions psychologiques de la guerre ne se ressentiront pas non plus dans la population31. Tous ces éléments feront que le climat de la guerre sera, pour ceux qui utilisent ces armes, similaire au climat de paix.
3. LA GLOBALISATION DE LA BELLIGERANCE
"Nous prions Allah pour avoir des soldats américains à tuer. Ces bombes qui descendent du ciel, nous ne pouvons pas les combattre" (Bearak, B. 2001). Ces paroles rapportées par Barry Bearak traduisent le ressentiment que la guerre déléguée provoque chez les combattants adverses.
Sur les développements précédents, on constate que les systèmes d'armes privent l'ennemi d'adversaires et annihilent la possibilité pour celui-ci d'avoir conscience matériellement de l'adversité. Cette inconscience ne découle pas d'une méconnaissance de son origine (nationalité, pays, etc.), mais du fait que la "réciprocité" matérielle est absorbée. L'adversaire est partout et nulle part. Cette logique est celle qui a, dans une certaine mesure préoccupée la communauté internationale relativement à la guerilla. En effet, la guerilla prive l'ennemi d'adversaire déterminé. Les difficultés qu'elle soulève ne tiennent pas uniquement au fait qu'elle met en danger les civils, mais au fait que la guerilla entraîne une globalisation -généralisation- de la belligérance et du danger. Ce qui expose les civils au demeurant.
Les prescriptions du DIH -relatives au statut de combattant- qui donnent obligation à ceux qui participent aux conflits sans être des forces armées de se distinguer, renferment en filigrane l'idée de pouvoir être exposé à la vue de l'ennemi. En somme, le soldat devra assumer la qualité de combattant tout le temps, et, pour celui qui participe aux hostilités, pendant la durée de sa participation. Cela permet, au surplus, que la guerre se limite à ceux qui la font, à savoir les personnes qui prennent part au conflit.
En évitant donc le combat grâce aux systèmes d'armes, les adversaires, de façon structurelle, déplaceront le conflit sur des objectifs à portée et en lien avec l'intérêt militaire, national ou politique de leurs utilisateurs. Le comble réside dans le fait qu'à partir de cet instant, le conflit ne sera plus objectivement orienté uniquement vers des objectifs militaires. Un militaire américain l'avait si bien résumé en affirmant ceci: "[…] il nous faut comprendre que les tentatives pour blinder notre force contre toute menace ennemie [...] aboutissent à transférer le "fardeau du risque". Cela sous-entend que le champ de bataille se détache du conflit et se rattache à la nationalité, à l'intérêt de ceux qui utilisent ces systèmes d'armes32".
La belligérance, dans cette configuration, se retrouvera partout et tout le temps; le conflit se transposant, pour celui qui est privé de combat, là où il peut retrouver son droit de combattre en attaquant une cible plus facile qui capitalise ou cristallise, selon lui, l'intérêt de l'ennemi33. C'est ce qui se perçoit d'ailleurs dans le sens donné à certaines attaques dites "terroristes".
La globalisation de la belligérance est d'une part, une conséquence de l'immatérialité de la guerre et, d'autre part, renferme l'idée selon laquelle, le tempus et le locus n'étant plus le lit d'un conflit, ce dernier puisse se dérouler partout même lorsqu'un pays est en paix. Dans le chapitre XIII du Léviathan, Thomas Hobbes soulignait pourtant que "la guerre doit se comprendre comme un état, une situation s'inscrivant dans la durée. Toute guerre comporte des trêves, c'est-à-dire des moments plus ou moins longs de suspension des combats, ce qui ne l'annule pas comme guerre"34. Cependant, la guerre doit se distinguer de la paix car elles ne sauraient se confondre. La confusion qui pourrait découler de l'utilisation des systèmes d'armes automatiques ou autonomes reste bien évidemment une menace directe à la sécurité des personnes et plus précisément à la protection et au bien-être des civils.
3.1. La permanence de l'état de conflit
"Il y a une saison pour toute chose et un temps pour tout sous nos cieux…; un temps pour la guerre et un temps pour la paix"35. Cette parole du livre de l'Ecclésiaste sonne pertinemment comme pour rappeler que le temps de paix ne peut être cadencé au rythme du conflit.
S'il y a un impératif à ce que la guerre se distingue de la paix, c'est parce que les moyens utilisés pour la guerre ne doivent pas être utilisés pendant la paix, chaque situation impliquant par ailleurs un régime de règles précis. Or, du fait que les systèmes d'armes autonomiques et autonomes peuvent être utilisés à tout moment, ils donnent la faculté à ses utilisateurs d'agir à distance en temps de paix comme si c'était en temps de conflit. Une telle utilisation entraine la confusion des temps de conflits et de paix, établissant consubstantiellement un état permanent de conflit. Ce fait est observable dans l'actualité de l'usage des drones au Pakistan.
Par ailleurs, dans l'attitude du conseiller juridique américain Harold KOH en 2010, la situation de confusion entre temps de paix et temps de guerre, par l'utilisation des drones, était perceptible. En effet, lorsque l'occasion a été donnée à ce dernier de se prononcer sur la nature de la belligérance dans laquelle les drones armés américains étaient utilisés, celui-ci a simplement déclaré que cette utilisation n'enfreignait pas le droit international quelle que soit la nature de la belligérance considérée, fut-ce dans un conflit armé ou dans un acte de légitime défense. Cela recèle comme informulé que ces armes sont utilisées indistinctement en temps de paix comme en temps de guerre.
Ne nécessitant donc pas l'envoi d'hommes ou que les conditions générales de belligérance qui caractérisent les conflits armés36 ne soient remplies, elles peuvent être déployées à tout moment, pour peu que ses utilisateurs ou ses expéditeurs trouvent les motivations politiques ou idéologiques qui l'accompagnent. Et c'est là où cela devient très problématique, car en temps de paix comme en temps de guerre, un droit spécifique est mis en oeuvre. Aussi, postuler une utilisation indifférenciée de ces systèmes d'armes pourrait revenir à affirmer que la paix et la guerre ont le même régime de droit. C'est ce que le rapporteur spécial des Nations unies pour les exécutions extrajudiciaires Philip Alston en 2010 déniait quand il attirait l'attention de Harold KOH sur la nécessité de déterminer les situations dans lesquelles les drones s'utilisent. Pour lui, on ne peut les utiliser en tout temps du fait que ce sont des "régimes de règles radicalement différents"37 qui s'appliquent aux différentes situations. Ainsi, si les attributs de ces armes ne permettent pas dans leur utilisation de faire cette distinction (état de paix et état de guerre) du fait qu'ils érodent les caractéristiques des conflits, leur légitimité pourrait être remise en cause38.
CONCLUSIONS
"Si tu veux concevoir la paix, pose d'abord les armes", disait Alain39. Cette assertion de la philosophie pacifiste semble bien dépassée aujourd'hui. Le développement des armes et l'élan volontariste de leur perfectionnement démontrent que les États veulent bien la paix mais renoncent à la concevoir sans armes. De surcroit, leur développement technologique conduit à fragiliser les bases de la paix par la confusion et la dilution des fondements du droit des conflits et de ses supports conceptuels et factuels. L'utilisation singulière de ces armes dans la lutte contre le terrorisme dans certains pays ne fait qu'entrainer une globalisation de la belligérance et le sentiment perpétuel de guerre. L'hypothèse entretenue tout au long de cette étude est attestée donc puisque certaines utilisations des drones armés et des robots tueurs, dans certaines circonstances, peuvent conduire à créer un climat d'insécurité généralisée.
La communauté internationale pourrait donc légitimement s'inquiéter des conséquences de la généralisation de leur possession et utilisation qui pourraient saper les déterminants juridiques et politiques de la paix et de la sécurité internationales. Le rapporteur spécial aux exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires auprès des Nations unies, Christopher Heyns, dans son rapport de 2013, avait appelé à une pause dans le développement des systèmes d'armes autonomes et automatisés40. Eu égard aux incertitudes planant sur leur capacité à respecter le droit international humanitaire, il a recommandé au Conseil des droits de l'Homme d'interpeler et d'inviter les États à appliquer un moratoire sur les tests, la production, le transfert, l'acquisition, le déploiement et l'utilisation des robots autonomes à capacité létale en attendant qu'un cadre international soit adopté en la matière.
Aussi, s'inquiétant des conséquences pour les droits de l'Homme et plus généralement pour la paix et la sécurité, les organisations de la société civile et de défense des droits de l'Homme multiplient les appels d'alerte pour une interdiction préventive des systèmes d'armes létales autonomes qui empêcherait leur développement et leur utilisation41. Sur le fondement du droit international, l'article 36 du premier protocole de Genève42 et la clause de Martens peuvent constituer un cadre juridique pour leur prohibition. Mais c'est à la communauté internationale de définir le cadre de cette prohibition de façon conventionnelle car comme l'affirme la CIJ dans l'avis licéité de la menace et de l'emploi d'armes nucléaires, "il n'existe […] pas […] de principe ou de règle de droit international qui ferait dépendre d'une autorisation particulière la licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires ou de toute autre arme. La pratique des Etats montre que l'illicéité de l'emploi de certaines armes en tant que telles ne résulte pas d'une absence d'autorisation, mais se trouve au contraire formulée en termes de prohibition"43.
La communauté internationale est donc interpellée. Il est à espérer que le groupe d'experts gouvernementaux44, créé à l'issue de la cinquième conférence chargée de l'examen de la Convention sur certaines armes classiques (tenue à Genève du 12 au 16 décembre 2016)45 , permettra de définir et de déterminer le régime juridique de ces nouvelles armes et de pouvoir encadrer leur utilisation.
Si la technologie ouvre des perspectives d'affermissement qualitatif des armes, elle doit s'exercer dans le cadre du droit et ne doit pas aller au-delà de ce qu'il permet46. Mais, encore faut-il que la force du politique ne résiste pas à celle du droit. Là demeure le noeud du problème.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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- Voltaire. (1745). Ode XIII, La clémence de Louis XIV et de Louis XV dans la victoire, dans Oeuvres de Voltaire, Tome XII, Poésie Tome I, p. 452.
* Artículo de Reflexión
1 - Aristote ajoute: «on passerait pour un buveur de sang accompli si, de ses propres amis on se faisait des ennemis en vue de susciter des batailles et des tueries».
2 - En effet, les puissances militaires qui s'affrontèrent à travers l'histoire tentèrent naturellement d'avoir l'ascendant sur les adversaires pour remporter leurs confrontations, mais les limitations technologiques ou techniques d'un âge pré-industriel leur laissaient que peu d'options. Autrement dit, en supposant que l'on se battait uniquement avec des armes blanches, le seul facteur qui pouvait influer sur l'issue des batailles était démographique, selon le principe qu'un peuple dont la population étant plus nombreuse que celle de l'adversaire serait enclin à l'emporter. Cela est relatif car à la donnée numérique, d'autres éléments contrôlables par l'Homme, comme l'entraînement, le leadership, les tactiques et enfin la technologie s'ajoutent pour déterminer la victoire d'une partie à une confrontation armée. Mais dans le contexte industriel, il reste évident que la stratégie et beaucoup plus la technologie et les techniques déterminent en grande partie la victoire lors des confrontations.
3 - L'introduction de canons à obus et d'armures blindées, permirent de construire des navires entièrement en métal, rendant les navires de bois des générations précédentes obsolètes. Cette supériorité s'est montrée lors des batailles navales de Sinope (Turquie, 1853), de Hampton Roads (États-Unis, 1862) pour ne citer que celles-là.
4 - Cette conception a d'ailleurs soutenu la période de la guerre froide (1945-1991) qui a dissuadé autant que possible les belligérants idéologiques de recourir aux armes pour s'affronter.
5 - A/HRC/23/47, Rapport relatif aux systèmes d'armes létales autonomes de Christopher HEYNS, Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires à l'assemblée générale des Nations unies, 9 avril 2013, § 27. Le Département de la Défense américain partage le contenu de la définition retenue par le rapport spécial. Dans sa directive numéro 3000.09 datant du 21 novembre 2012, il y est affirmé qu'un système d'arme autonome «une fois activé, peut sélectionner et engager des cibles sans autre intervention d'un opérateur humain».
6 - Cette arme combine un radar de détection et d'acquisition de cible avec un calculateur de position associés à un canon multitube ou du système autonome.
7 - Système de détection et de destruction d'émetteurs radars, développé par Israël. Il convient de souligner il existe une diversité fonctionnelle des systèmes d'armes (satellites, aéronefs, engins terrestres fixes ou mobiles), mais le cadre de cette étude s'attachera aux systèmes d'armes qui pourraient être - ou qui sont - utilisés comme armes de combat.
8 - Rapport de la réunion d'experts sur les systèmes d'armes létales autonomes tenu du 13 au 17 Avril 2015.
9 - Déclaration à l'effet d'interdire l'usage de certains projectiles en temps de guerre. Saint Petersbourg, 11 décembre 1868.
10 - Ceci explique pourquoi les armées n'ont pas un droit illimité dans l'usage des moyens utilisés dans les conflits ; et d'ailleurs, lorsqu'une partie n'est pas à la hauteur technologique ou technique de son adversaire, tous les moyens ne sont pas légitimes pour parvenir à la victoire dans la guerre. V. aussi CICR, Commentaire de 1987 du protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), 8 juin 1977, art. 35, § 1410 - § 1415.
11 - Commentaire de 1987 sur le protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), 8 juin 1977, p. 401, § 1410.
12 - Idem.
13 - Ce principe demeure d'ailleurs un principe fondateur du Jus in bellum.
14 - Grégoire Chamayou, op. cit; p. 52.
15 - Paul Kahn, The paradox of riskless warfare, Philosophy of Public policy Quarterly, Vol. 22, n° 3, 2002.
16 - Idem. V. aussi Grégoire Chamayou, op. cit., p. 227.
17 - Qui plus est, la réciprocité assure, dans le conflit, la licéité du droit de tuer sans que cet acte en lui-même ne soit constitutif de crime. Si cette réciprocité n'existe plus, alors l'action de tuer perd son immunité criminelle et s'assimile à un meurtre ou à un assassinat. Cette réciprocité n'est pas simplement formelle, elle doit être détectable et «éprouvable» dans le cadre du conflit.
18 - Human Rights Watch a rappelé justement au président Barack Obama en 2010 que «la notion selon laquelle le monde entier devient automatiquement et par extension un champ de bataille où s'appliquent les lois de la guerre est contraire au droit international»; HRW, Letter to Obama on targeted killing and drones, 7 décembre 2010.
19 - Stanford International Human rights & Conflict resolution clinic, Living under drones, Death injury, trauma to civilian from US drone practices in Pakistan, Septembre 2012.
20 - Ibidem, p. 81.
21 - La juriste Mary Ellen O'connell l'avait par ailleurs note dans son livre Unlawful killing with combat drones: a Case Study of Pakistan, 2004-2009, Abstract, Notre Dame Law School, Legal Studies Research Paper, n°09-43, 2009.
22 - Jean De Preux affirme que l'interdiction des maux superflus est un corollaire du paragraphe 1, qui dénie un droit illimité dans le choix des moyens de nuire. Les combattants et les Parties au conflit ne sont pas libres de provoquer des maux inutiles, de faire un emploi irrationnel de la violence. Commentaire de 1987 sur le protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), 8 juin 1977, p. 401, § 1411; accessible sur https://www.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/Comment.xsp?action=openDocument&documentId=9F75FBD0836E773DC12563BD002D6E3B [Link].
23 - Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son Annexe: Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre. La Haye, 18 octobre 1907. Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre - Section II - Des hostilités - chapitre I -des moyens de nuire à l'ennemi, règlement article 23, c).
24 - Ibidem, article 23, e).
25 - Commentaire de 1987 sur le protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), 8 juin 1977, p. 401 § 1410.
26 - Ibidem, § 1414; De plus, dans les actes XV de la conférence, “ plusieurs représentants ont demandé qu'il soit consigné dans le compte rendu qu'à leur avis les maux auxquels cette expression fait référence se limitent à ceux qui sont plus graves que nécessaires pour mettre un adversaire hors de combat», Actes XV, p. 275, CDDH/215/Rev.1, par. 21.
27 - Supra, p. 8
28 - La place de l'humain dans le processus conduisant au recours à la force létale des Systèmes autonomes a justement été au centre des discussions qui se sont tenues à la réunion sur la convention sur certaines armes classiques en 2014. Pour les participants, il était nécessaire que la guerre et particulièrement l'utilisation des armes soient fondamentalement associées à la notion de «contrôle humain significatif» (CHS) ou effectif. La guerre ou le sort des humains ne peuvent être laissés à des machines qui n'ont aucun sens de l'humain.
29 - On fonde cette conception sur l'idée de la guerre juste, le droit de faire la guerre ou de répondre à la belligérance. Walzer disait que sans l'égalité du droit de combattre, « la guerre disparaît en tant qu'activité soumise à des règles pour être remplacée par le crime [...] » ; Michael Walzer, Guerres justes et injustes, Gallimard, 2010, p. 111, p. 229.
30 - Cette guerre ne fera pas de tords matériels ou environnementaux au pays qui utilise ces systèmes d'armes, V. dans ce sens Grégoire Chamayou, op. cit. p. 311.
31 - “Toys against the people, or remote Warfare”, Science for the people magazine, vol. 5, N°1, mai 1973 p. 8-10, 37-42, V. aussi Grégoire Chamayou, op. cit., p. 310- 312.
32 - C'est exactement aussi la logique du SALA lorsqu'il poursuivra et frappera la personne ciblée là où il sera possible d'atteindre cette personne.
33 - Comme la citation du soldat sur le retour de violence des actions des drones l'exprimeront. Supra, p. 25.
34 - Thomas Hobbes, Léviathan, trad. G. Mairet, Folio-Essais, chapitre 13, pp. 224-225. Cité dans Gaëtan Demulier, Quelques réflexions sur la guerre et la paix, op. cit.,p. 2.
35 - La Bible. Ancien testament, livre de L'ecclésiaste, 3, 1-15.
36 - Dans le cas de conflits armés, les conditions demeurent l'opposition entre les forces armées de deux États et dans le cas des conflits armés non internationaux, il s'agira de l'organisation des groupes armés, la hiérarchie, le contrôle du territoire, leur aptitude à respecter les lois et les coutumes de la guerre.
37 - Dossier “UN Special Rapporteur Philip Alston Responds to US Defense of Drone Attacks' Legality”, Democracynow1er Avril 2010, consulté le 26 juillet 2016 sur http://www.democracynow.org/2010/4/1/drones [Link] La version original dit ceci:“The big issues that he didn't answer are, first of all, what law are you applying? And he very casually said, well, we are applying either the law of armed conflict or the rules governing the right to self-defense of a state. Now, those two sets of rules are radically different. He didn't address the issue of whether he is talking about the application of human rights law, as well as international humanitarian law.
38 - Idem.
39 - Emile Chartier, dit Alain - 1868-1951, Propos sur la religion, 4e édition, Paris, Les Presses Universitaires de France, 1969, 288 p.
40 - A/HRC/23/47, 9 Avril 2013 § 109.
41 - Commission Justice et paix belge, Human rights watch, Amnesty international, International Human Rights Clinic, les Prix Nobel de la paix de la Nobel Women's Initiative, etc.
42 - L'article 36 dispose que «Dans l'étude, la mise au point, l'acquisition ou l'adoption d'une nouvelle arme, de nouveaux moyens
ou d'une nouvelle méthode de guerre, une Haute Partie contractante à l'obligation de déterminer si l'emploi en serait interdit, dans
certaines circonstances ou en toutes circonstances, par les dispositions du présent Protocole ou par toute autre règle du droit
international applicable à cette Haute Partie contractante».
La clause de Martens fait partie du droit des conflits armés depuis sa première apparition dans le préambule de la Convention II de
La Haye de 1899 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre:
«En attendant qu'un code plus complet des lois de la guerre puisse être édicté, les Hautes Parties contractantes jugent opportun de
constater que, dans les cas non compris dans les dispositions réglementaires adoptées par elles, les populations et les belligérants
restent sous la sauvegarde et sous l'empire des principes du droit des gens, tels qu'ils résultent des usages établis entre nations
civilisées, des lois de l'humanité et des exigences de la conscience publique».
43 - CIJ, Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 226-267 ; p. 248, para. 52.
44 - Le groupe d'experts gouvernementaux sera chargé de traiter des deux questions élémentaires suivantes : identification des caractéristiques et élaboration d'une définition pratique des SALA ;application et respect des principes et règles de droit international, notamment du droit international humanitaire, dans le contexte d'utilisation des SALA.
45 - Cette conférence avait pour objet d'examiner la portée et le fonctionnement de ladite Convention et d'étudier les propositions relatives à des catégories d'armes que la Convention ne couvre pas, tels que les systèmes d'armes létaux autonomes encore appelés “robots tueurs”.
46 - Ce qui rappelle cette affirmation du Général d'armée aérienne Stéphane ABRIAL pour qui «La technologie n'est ni bonne ni mauvaise, elle est ce que l'on en fait».