L'interprétation des normes dans la justice constitutionnelle colombienne*
La interpretación de las normas en la justicia constitucional colombiana
DOI: http://dx.doi.org/10.25054/16576799.1850 [Link]
Germán Alfonso López Daza
Docteur en droit constitutionnel
Professeur et chercheur – Directeur du Master en Droit Public
Université Surcolombiana, Colombie
germanlo@usco.edu.co [Link]
https://orcid.org/0000-0003-4627-0295 [Link]
Carlos Fernando Gómez García
Avocat
Professeur et chercheur
Université Surcolombiana, Colombie
carlos.gomez@usco.edu.co [Link]
https://orcid.org/0000-0003-0789-6199 [Link]
La Cour Constitutionnelle colombienne, créée par la Constitution politique de 1991, afin de veiller à la protection des droits fondamentaux et au respect de la Constitution, a développé, à partir de son interprétation constitutionnelle, une jurisprudence créatrice en consacrant de nouveaux droits ainsi qu'un élargissement de ses compétences. La Cour applique, depuis 26 ans, une typologie interprétative que l'on trouve dans ses arrêts et qui témoignent d'une avancé en matière de constitutionnalité et de protection des droits fondamentaux. Cet article essaiera d'expliquer la façon dont la Cour Constitutionnelle a développé l'interprétation constitutionnelle.
Cour Constitutionnelle Colombienne; Interprétation Constitutionnelle; Interprétation Judiciaire.
The Constitutional Court of Colombia, created by the Political Constitution of 1991 to guarantee the protection of fundamental rights and respect for the Constitution, has developed, from its constitutional interpretation, a protective and creative jurisprudence of new rights, extending its judicial competences putting them very close to the legislative ones. For 26 years, the Court has been applying an interpretative typology found in its judgments, which shows advances in the defense of the constitution and the protection of fundamental rights. This article will try to explain the types of interpretation applied by Colombian Constitutional Court.
Colombian Constitutional Court; Constitutional Interpretation; Judicial Interpretation.
El Tribunal Constitucional de Colombia, creado por la Constitución Política de 1991 para garantizar la protección de los derechos fundamentales y el respeto a la Constitución, ha desarrollado a partir de su interpretación constitucional, una jurisprudencia protectora y creadora de nuevos derechos, extendiendo sus competencias judiciales poniéndolas muy cercas a las legislativas. Durante 26 años, la Corte ha estado aplicando una tipología interpretativa encontrada en sus sentencias, que muestra avances en la defensa de la constitución y la protección de los derechos fundamentales. Este artículo tratará de explicar los tipos de interpretación aplicados por Tribunal Constitucional colombiano.
Corte Constitucional Colombiana; Interpretación Constitucional; Interpretación Judicial.
Le principal changement survenu lors de l'approbation de la Constitution de 1991 est celui de la transformation de l'État de droit en État social de droit. C'est le concept même de justice qui a été alors reconsidéré et de nouvaux príncipes et valeurs constitutionnels ont été adoptées.
Le juge est devenu l'un des piliers de la consolidation de l'État social de droit. Avant la Charte de 1991, son rôle se limitait à appliquer la loi de la même façon pour tous. À présent, il a en plus la faculté de l'interpréter afin que soit donnée priorité à la garantie des droits fondamentaux et la matérialisation de l'État social de droit.
Dans le cadre de ce nouveau modèle d'état, la justice est conçue comme une manifestation concrète du principe d'égalité selon lequel tout individu a la garantie d'être protégé par l'État.
L'accès à la justice pour tous est également un principe essentiel de l'État social de droit. Tout individu a le droit d'engager une procédure judiciaire afin d'obtenir la reconnaissance de ses droits. Ces procédures sont préalablement définies par le législateur de façon générale et abstraite.
La Constitution de 1991 a entraîné une constitutionnalisation du droit: la Cour constitutionnelle interprète la loi en faisant obligatoirement référence à la charte et celle-ci est maintenant un texte directement applicable à tous les aspects de la vie. Elle est devenue “la source des sources”. Le juge constitutionnel veille à ce qu'aucune des compétences du texte ne soit restreinte par le législateur.
La Charte a créé deux recours en justice pour la protection des droits fondamentaux et collectifs: l'action de tutelle et l'action populaire. Ces deux actions en justice ont deux avantages: leur gratuité (il n'y a pas obligation d'être représenté par un avocat) et leur rapidité (elles sont traitées en dix jours). Depuis leur création, les tribunaux sont débordés et doivent traiter un nombre toujours croissant de ces actions.
Dans le même sens, la Cour Constitutionnelle –qui a commencé ses fonctions en 1992– a dit que ses arrêts ont une force obligatoire d'après sa propre interprétation. La jurisprudence constitutionnelle est maintenant une référence essentielle pour les juges des tribunaux inférieurs1.
Les arrêts du Tribunal constitutionnelle ont souvent l'approbation de l'opinion publique lorsqu'il s'agit de sujets d'actualité brûlants. Il a été le cas de la protection de droits fondamentaux, le contrôle au gouvernement para rapport aux impôts ou la protection de minorités telles que les homosexuels, les peuples autochtones ou les handica- pés2.
La nation est défendue par des juges spéciaux qui sont actifs dans la défense des droits fondamentaux et de la Constitution passant outre le débat sur son ingérence dans les domaines réservées à l'exécutif et au législatif.
Le contrôle exercé par la Cour constitutionnelle se situe à mi-chemin entre le contrôle diffus et le contrôle concentré. Comme aux États Unis, tout juge peut exercer un contrôle constitutionnel dans un certain nombre de cas, et comme en Europe, il y a un Tribunal constitutionnel suprême responsable du contrôle constitutionnel.
La Cour fait partie de la branche judiciaire et se trouve au même niveau que les autres Hautes Cours, ce qui signifie qu'en principe il y a respect des sphères respectives de chacune: la Cour Suprême de Justice s'occupe d'affaires relevant exclusivement de la juridiction ordinaire (CConst, Art. 224) (domaine civil, commercial, familial, du travail, agricole), le Conseil d'État est chargé des affaires de contentieux administratif (CConst, Art. 236), et le Conseil supérieur de la Magistrature est chargé d'organiser le pouvoir judiciaire et d'exercer le contrôle disciplinaire des juges et avocats (CConst, Art. 254). Aucune d'elles ne peut interférer dans les domaines des autres.
Cependant, depuis sa création, la Cour a pris un certain nombre de décisions qui ont affecté les arrêts des autres juridictions soit en réinterprétant des articles de la Charte politique soit en construisant de nouvelles théories directement liées à la Constitution3.
Sans aucun doute, l'interprétation judiciaire est un point essentiel de l'État constitutionnel colombien. Actuellement, c'est bien l'interprétation de la Constitution par les juges et son application à un cas particulier qui constituent l'essence du droit colombien. L'interprétation judiciaire, et plus encore la création judiciaire, sont les piliers du constitutionnalisme colombien et de l'État social de droit défini dans la Charte.
Nous allons aborder à présent, selon une perspective analytique, les développements faits par la Cour constitutionnelle en matière d'interprétation judiciaire de la Constitution de 1991 ainsi que sa jurisprudence.
Le premier chapitre portera sur les concepts de l'interprétation constitutionnelle selon la Cour constitutionnelle colombienne et sur les différentes interprétations utilisées par le Haut tribunal.
Le deuxième chapitre survolera les principes d'interprétations développées par la Cour dans ses décisions concernant la protection des droits fondamentaux et de la constitutionnalité.
Dans le troisième chapitre, on observera l'évolution de la jurisprudence constitutionnelle qui est passée d'un système européen à un système mixte proche de celui des Anglosaxons.
Dans le quatrième chapitre, nous décrirons les techniques d'interprétation normatives que la Cour a créées et qui se reflètent dans la modulation et la manipulation des sentences, techniques qui ont soulevé de nombreux débats.
Dans le dernier chapitre, nous évaluerons l'activisme judiciaire de la Cour et définirons si elle s'inscrit dans le modèle de “gouvernement des juges”.
Le Tribunal constitutionnel colombien suit les
courants contemporains de la théorie du droit qui
affirme:“
L'herméneutique et la dogmatique juridique sont la base d'un système législatif. L'application de l'herméneutique a pour finalité de s'approcher de la vraie signification de la norme, en s'assurant que le concept est bien compris. C'est grâce à l'analyse et à l'interprétation que l'on comprend et que l'on peut donc appliquer le texte.
L'interprétation porte sur la norme, sur le rapport entre les normes, sur ses antécédents historiques, sur ses objectifs sociaux recherchés, sur les conséquences de l'interprétation, etc… et doit également parer aux difficultés du langage juridique (Gadamer, H., G. 1998, p. 109).
Selon Hart, toute norme présente une partie déterminée et une autre non déterminée dite zone de pénombre. L'interprétation porterait donc sur cette zone non définie et lui donnerait une signification juridique.
L'interprétation constitutionnelle porte d'une part sur la norme constitutionnelle; elle en définit la portée et le sens juridique, c'est ce qu'on appelle, au sens technico-juridique, l'interprétation légale et juridique et d'autre part sur les normes constitutionnelles créées par le juge constitutionnel.
Comprendre la Constitution veut dire comprendre un précepte constitutionnel à partir de sa rédaction, en tenant compte des caractéristiques propres au document.
On doit aborder l'analyse constitutionnelle à partir de la prémisse suivante: le texte constitutionnel est un document juridico-politique, une règle de droit suprême, qui établit l'organisation de l'État et qui, dans certains pays comme la Colombie, inclut une charte des droits fondamentaux destinés à protéger les citoyens et dont l'application est directe.
L'interprétation d'un texte constitutionnel est jugée pertinente dans la mesure où elle tient compte de la rédaction du texte, du contexte de son application, de ses antécédents historiques, de ses développements jurisprudentiels et de l'application de la règle du précédent.
Dans les systèmes ayant une juridiction constitutionnelle semblable à celle de la Colombie, l'analyse officielle de la Constitution crée de nouvelles règles d'ordre constitutionnel, de façon expresse ou implicite.
L'interprétation constitutionnelle exige une méthode différente de celle de l'interprétation de la loi. Le caractère suprême, général, abstrait, indéterminé et élastique du texte requiert des techniques interprétatives spécifiques.
La Constitution, en tant qu'objet d'interprétation, crée et détermine le système juridique. Sa suprématie juridique l'emporte sur les autres normes du système (Huertas- Cárdenas, J., 2008, p. 313).
L'interprétation d'une norme respecte trois principes: reconnaître la C.P. comme norme directement applicable, reconnaître la supériorité des décisions de la Cour sur celles des organes inférieurs, faire la différence entre l'interprétation constitutionnelle et celle de la loi.
En droit constitutionnel, l'interprétation sert à éviter d'en arriver à une réforme constitutionnelle ou légale et à orienter de futurs cas (règle du precedent).
Si la typologie de l'interprétation constitutionnelle n'est pas explicite dans la Constitution de 1991, par contre, elle l'est dans la jurisprudence de la Cour.
Voyons les différents types d'interprétations que la Cour utilise pour prendre des décisions relatives aux questions de constitutionnalité et de tutelles.
Le texte sur lequel porte l'interprétation est celui de la Charte en vigueur à ce moment-là. Le sens des préceptes normatifs se définit à partir des règles de grammaire et la signification des mots dans leur acceptation générale. On se base sur les règles sémantiques et syntaxiques du langage utilisé (CConst, C-893/2012 M.R. Guerrero- Pérez, L., G.)
Ce critère herméneutique doit concorder avec les autres formes d'interprétation.
On le retrouve dans l'arrêt C-893/2012, qui affirme que la signification se révèle à la lumière du principe des finalités du précepte examiné. L'interprétation doit respecter la finalité recherchée par loi. Pour ce faire, la Cour doit connaître l'intention de l'organe qui a créé la norme en se basant sur ses textes préparatoires et l'exposé des motifs, les considérations du texte, et les dispositions légales qui soutiennent les objectifs.
Ce même arrêt C-893/2012 dit également que
l'interprétation contextualisé doit situer les significations
des dispositions juridiques dans leur environnement
juridique, politique et économique
La méthode d'interprétation systémique définie par la Cour dans son arrêt C-372/2016 M.R. Luis Guillermo Guerrero Pérez, interprète les normes en fonction de leur ordonnancement juridique. La norme, objet d'interprétation, est toujours comparée aux autres normes du système dont elle fait partie.
En conclusion, l'investigation systémique donne une interprétation de la norme constitutionnelle analysée qui doit être conforme au contenu de la Constitution politique. L'interprétation dépend des concepts de la Charte politique.
Cette méthode resitue la norme au moment de sa création. Lorsque l'interprétation grammaticale ou systémique ne suffit pas et qu'il est difficile de cerner l'intention du constituant, on analyse les propositions et débats de construction de la norme afin de s'approcher au mieux de la volonté de l'organe législatif qui en est l'auteur (CConst, C-372/2016 M.R. Guerrero-Pérez, L., G. et C- 574/2011 M.R. Henao-Pérez, J., C.).
Cette méthode est appliquée dans deux cas. Le premier cas concerne la Constitution. On examine les exposés des membres de l'Assemblée constituante, la Gazette constitutionnelle, et les documents audio, vidéo, écrits des débats qui ont eu lieu au sein de l'Assemblée et ainsi on détermine au mieux les motivations à l'origine de la norme analysée. Le deuxième cas se rapporte aux normes légales faisant l'objet d'une étude de constitutionnalité et on la retrouve dans plusieurs arrêts de la Cour. L'analyse du contexte historique et de la volonté du législateur conduisent à la décision de constitutionnalité ou d'inconstitutionnalité.
Plusieurs sentence ont eu recours à cette méthode : C- 931/2004 M.R. Marco Gerardo Monroy Cabra (interprétation historique de l'article 2 de la loi 848 de 2003), SU- 712/2013 M.R. Jorge Ivan Palacio (analyse la volonté expresse du Constituant d'attribuer au Ministère public la compétence de contrôle disciplinaire sur les parlementaires), C-122/2011 (interprétation historique, littérale et systémique de l'article 112 de la C.P. sur la formation des tables directives du Congrès), C-055/2016 M.R. Luis Ernesto Vargas Silva (interprétation historique de l'article 145 de la loi 1437).
L'article 241 de la Constitution politique établissant les fonctions de la Cour et l'article 230, celui du système des sources du droit colombien, sont tous deux à la base de certains principes constitutionnels sur lesquels s'appuie l'interprétation constitutionnelle.
L'arrêt SU-049/1999 M.R. Carlos Gaviria Díaz le définit comme s'en tenir aux décisions précédentes. Les hauts tribunaux doivent suivre les précédents dans un cas analogue afin qu'il y ait uniformité dans les décisions et que le principe d'égalité soit protégé.
Comme l'a précisé la Cour dans son arrêt, le respect du précédent est fondamental dans un ordonnancement juridique semblable à celui de la Colombie (système de droit écrit).
La Cour et tout juge constitutionnel doivent être conséquents avec les décisions préalables pour protéger:
Parmi les nombreuses décisions de la Cour relatives à cette question, la sentence T-406 de 1992 M.R. Ciro Angarita Barón a dit:
La suprématie de la Constitution sur les autres normes réside dans le fait que c'est elle qui établit l'ordre juridique de base de l'État; elle crée les organes destinés à exerçer l'autorité publique, elle attribue les comprétences de création, d'exécution des normes, de prise de décisions conformément à la loi dans les cas de litiges. C'est le socle des valeurs fondamentales, elle régit et valide l'ordre juridique. L'ensemble des actions réalisées par les organes constitués-le Congrès, l'Exécutif et les juges- ne sont pas reconnues comme Droit si elles sont non conformes aux critères constitutionnels de lex superior et normarum. Le texte de l'article 4 est clair: En cas d'incompatibilité entre la loi et la Constitution, ce seront toujours les textes constitutionnels qui seront appliqués.
En cas de plusieurs interprétations possibles d'une norme inférieure, on optera toujours pour celle qui favorise l'efficacité de la norme constitutionnelle (Monroy Cabra, M., G. 2002).
Tout constitution a une durée indéterminée, est permanente et définitive. En vertu de ce principe, la Constitution de 1991 reste en vigueur jusqu'à ce que le peuple, premier constituant, en décide autrement. Nul ne peut y déroger.
L'interprète ne doit pas analyser une norme de façon isolée et en préférer une qui réponde à un besoin personnel. Cela reviendrait à ne pas tenir compte des préceptes du texte et par conséquent à le violer. (CConst, C-560 de 1994 M.R. Hernández-Galindo, J., G.). L'analyse doit intégrer les autres normes et respecter la cohérence de l'ensemble de la Charte.
D'après García Belaunde, D. (1994), il s'agit de la règle de l'herméneutique dérivée du principe de hiérarchie des normes. Le juge constitutionnel doit choisir l'interprétation qui est la plus conforme à la norme hiérarchiquement supérieure.
La révision de constitutionnalité des normes ou des sentences de tutelle implique l'application par la Cour constitutionnelle des normes faisant partie du boc de constitutionnalité.
Motiver une décision veut dire soutenir de façon claire une décision de justice avec des arguments convaincants. La motivation évite que les pouvoirs publics et en particulier les juges prennent des décisions arbitraires. Le droit de défense peut être protégé si les raisons exposées dans l'arrêt sont connues.
L'obligation de motivation est une règle principale du procès. Le juge interprète les normes à partir des éléments de conviction apportés au procès et de l'hypothèse qui en découle et ainsi attribue une règle juridique au cas concret étudié (CConst, T-214 de 2012 M.R. Luis Ernesto Vargas Silva).
Selon la Cour constitutionnelle (CConst, T-214 de 2012 M.R. Luis Ernesto Vargas Silva), la motivation exposée par les juges de dernière instance, constitue une source de légitimation démocratique, en soutien au contrôle citoyen dans les cas de décisions injustes ou peu adaptées à de nouvelles circonstances sociales et juridiques.
En cas de doute, le juge doit opter pour la constitutionnalité du précept normatif soumis à contrôle ou adopter une interprétation conforme à la Constitution. Il doit avant tout protéger la norme créée par le législateur et respecter le principe démocratique. Si une disposition contient au moins une interprétation conforme à la Charte, le haut tribunal a le devoir de la déclarer exécutoire sous certaines conditions et de ne pas la retirer de l'ordre juridique (CConst, C-100 de 1996 M.R. Martínez- Caballero, A.). Ce principe sert à justifier les sentences dites “de manipulation” ou “de modulation”.
L'interprétation doit se faire dans le respect de la cohérence de l'ensemble du Texte et ne pas être une interprétation isolée ou contradictoire des normes qui le composent. Ce principe est conforme à la méthode d'interprétation systémique examinée précédemment.
Ce principe est appliqué lorsqu'il y a collision entre deux droits fondamentaux ou plus. Il faut alors trouver un équilibre pratique qui répond aux besoins des individus dont les droits s'opposent.
L'arrêt T-425 de 1995 M.R. Eduardo Cifuentes Muñoz, développe cette idée ainsi:
Le principe d'harmonisation est contraire à la recherche d'effectivité d'un droit au détriment d'un autre. L'interprète doit rechercher l'effectivité de chaque droit. Par conséquent la collision des droits ne peut être résolue par une pondération superficielle ou une priorité abstraite d'un des biens juridiques en conflit. Cette pondération doit analyser et harmoniser les biens et intérêts en jeu dans le cas étudié avant de déclarer la primauté d'une norme sur une autre. Le principe d'harmonisation concrète implique de délimiter les biens en opposition en s'appuyant sur la concordance pratique des normes respectives de façon à leur assurer une effectivité maximale.
Bien que la Cour ait appliqué ce principe dans de nombreux
cas, il en existe d'autres où l'un des droits est sacrifié
et annulé. C'est le cas de la dépénalisation de l'avortement
où le droit à la vie du
Une limite est fixée à l'exercice des droits fondamentaux.
Dans le cadre du processus d'harmonisation des droits, ce
principe implique que les particuliers doivent respecter les
droits d'autrui et ne pas abuser des leurs. Dans chaque
cas, les droits fondamentaux ont des limites définies qu'il
n'est pas utile de dépasser pour obenir leur effectivité.
Tels sont les principes définis par la doctrine et appliqués
par la Cour constitutionnelle dans leur interprétation
normative et leurs sentences en matière de protection
des droits fondamentaux (action de tutelle) et de constitutionnalité.
Le schéma du positivisme juridique a prédominé pendant tout le XIXe siècle et une partie du XXe siècle en Colombie. Plusieurs générations d'avocats et serviteurs de la justice cultivaient une espèce de fétichisme législatif, héritage français, où la loi n'était qu'un instrument de contrôle social.
Le juge, considéré comme un technologue ou un interprète passif de la loi, avait un rôle moindre et se tenait à distance de la réalité sociale.
Dans le système romain germanique, les juges devaient appliquer la loi et leurs décisions étaient importantes puisqu'elles reflétaient leur interprétation des textes en cas de vide juridique. Cependant, ils n'étaient pas tenus de suivre la jurisprudence de la Cour suprême de justice et ils n'avaient pas le pouvoir de créer ou de modifier la loi.
La jurisprudence colombienne a toujours été source secondaire de droit, applicable seulement dans les cas où la source principale, la loi, est insuffisante.
L'opposition traditionnelle entre droit écrit et jurisprudence a conduit les juges à résoudre les différences interprétatives, les vides et les contradictions de certaines lois selon des paramètres fixés par le législateur (l'analogie, les méthodes d'interprétation, etc.).
C'est à partir de 1992 que la Cour constitutionnelle a accordé à la jurisprudence une importance supérieure à celle de droit secondaire que lui conférait l'article 230.
La sentence C-113/1993 M.R. Jorge Arango Mejía fut la première à déclarer que la Cour, selon l'article 241 de la Constitution, était la seule habilitée à établir les effets de ses décisions.
Selon la Cour, seule l'interprétation lui permet de remplir sa mission de protection de l'intégrité et de la suprématie de la Constitution: Absolument rien ne peut s'interposer entre la Constitution et la Cour constitutionnelle, pas même une feuille de papier.
Una autre décision de la Cour, C-037 de 1996 M.R. Vladimiro Naranjo Mesa, a réitéré ce principe. L'interprétation de la Cour à un caractère obligatoire et seule la Cour a la faculté d'établir les effets de ses décisions.
La sentence SU-047/1999 M.P. Carlos Gaviria Díaz de la Cour a fait la distinction entre decisum (partie résolutive de la sentence qui est obligatoire), obiter dicta (les arguments qui ne sont pas liés à la décision) et ratio decidendi (les raisons juridiques de la décision), et a précisé que le respect des précédents a une fonction essentielle dans les ordonnancements juridiques et aussi dans les systèmes de droit écrit.
Cependant, la sentence C-836 de 2001 M.R. Rodrigo
Escobar Gil, a confirmé que seuls les arguments juridiques
exposés dans la motivation d'une sentence et qui
sont inséparables de la décision finale
La jurisprudence de la Cour constitutionnelle a élargi son domaine d'application dans le droit constitutionnel et général rapprochant ainsi le système colombien romain germanique au système américain.
Ce changement s'est fait par voie d'interprétation jurisprudentielle, faisant omission de l'article 230 de la Constitution. Ce qui a soulevé la question sur les limites d'autorité de ce tribunal qui a l'art de les ignorer.
D'après l'article 241 de la Constitution, la Cour constitutionnelle a deux missions: unifier la jurisprudence en révisant les actions de tutelle et protéger la Constitution en décidant la constitutionnalité ou l'inconstitutionnalité dans les cas étudiés. Ce travail a contribué à construire une doctrine constitutionnelle très étendue, pilier du constitutionnalisme colombien du XXIe siècle.
L'audace de la Cour est allée si loin, qu'elle a enfreint le principe de séparation des pouvoirs alléguant qu'elle seule a le pouvoir de donner une portée juridique à ses arrêts.
Le déploiement de contrôle de la Cour colombienne a soulevé de nombreuses critiques, la plus importante étant que la Cour a envahi le domaine législatif et créé un climat d'insécurité juridique, surtout dans les cas de modification d' une loi avec ordre d'application d' un effet de cette loi non prévu par le législateur.
La manipulation des arrêts a été appliquée dans de nombreux cas. La magistrat María Victoria Calle Correa (sentence C-619 de 2011) a fait une classification des sentences de la Cour en deux catégories:
Ce dernier groupe se divise à son tour en deux sousgroupes:
Une autre classification des sentences modulatives a été faite par la cour (CConst, C-182 de 2016, M.R. Gloria Stella Ortiz Delgado):
En premier lieu se trouvent les sentences conditionnées qui contiennent une norme déclarée constitutionnelle par la Cour à condition que celle-ci soit interprétée de la même façon que la Cour. Ces sentences sont les plus nombreuses des sentences modulatives et elles laissent apparaître clairement que le but recherché est la protection de la norme afin d'éviter son inapplicabilité.
En second lieu se trouvent les sentences intégratrices définies par la sentence C-109/1995 (M.R. Alejandro Martínez Caballero) comme des modalités de décision selon lesquelles le juge constitutionnel, en vertu de la valeur normative de la Charte (C.P., Art. 4º), projette les mandats constitutionnels dans la législation ordinaire pour ainsi combler des vides normatifs ou faire face à d'inévitables imprécisions d'ordre légal. Ces sentences viennent compléter une disposition qui, sans cela, serait inconstitutionnelle (CConst, C-690/96 M.R. Alejandro Martinez Caballero).
C'est le rôle de la fonction intégratrice de la doctrine constitutionnelle dont le caractère obligatoire, en tant que source de droit, a été reconnu par la Cour. La Constitution est plus qu'un système de sources; c'est la norme juridique suprême qui conditionne la validité de tout l'ordonnancement juridique (C.P. Art. 4º).
En troisième lieu, les sentences additives qui élargissent le contenu normatif qui serait sinon contraire à la Constitution (CConst, C-1230 de 2005 M.R. Rodrigo Escobar Gil et C-748 de 2009 M.R. Rodrigo Escobar Gir).
En dernier lieu, les sentences d'inconstitutionnalité différée ou appelées aussi « sentences pro futur », repoussent l'inconstitutionnalité à une date ultérieure pour ne pas perturber la sécurité juridique car le vide juridique qui résulterait d'une déclaration d'inconstitutionnalité pourrait être plus préjudiciable que le maintien de la norme dans le système juridique.
La Cour a créé ces sentences après un processus d'interprétation de ses fonctions consacrées par l'article 241 de la Constitution dans le but de répondre au besoin de changer la norme créée par le législateur, et d'éviter de la déclarer inconstitutionnelle.
Cette interprétation faite par la Cour depuis 1995 et la première moitié des années 2000 a provoqué dans un premier temps la colère du Congrès de la République victime de l'ingérence de la Cour dans ses domaines fixés expressément par la Constitution politique colombienne (articles 114 et 150).
Mais le congrès a fini par accepter «les nouvelles fonctions» de la Cour et il est courant que ses décisions soient manipulées et que la Cour ait un rôle de “législateur positif”.
Cela fait 27 ans que la juridiction constitutionnelle occupe le devant de la scène et que les juges ont un rôle très actifs.
Le terme d'"activisme judiciaire" est utilisé pour définir le changement de rôle des juges. Auparavant ils appliquaient la loi, aujourd'hui ils vont au-delà de l'application en devenant créateur de droit, en réglant des problèmes sociaux et en donnant des ordres aux autres organes de l'État, outrepassant ainsi leurs comprétences.
Le juge non seulement règle le cas dont il a la charge mais envoie également des signes innovateurs aux autres pouvoirs, aux juges inférieurs et à la société en général, entraînant un changement dans la législation, la jurisprudence ou les coutumes. Ces signes sont:
Depuis que la Cour constitutionnelle a été créée, ses détracteurs l'ont surnommée “le gouvernement des juges”. Cette expression a été utilisée par des théoriciens reconnus de droit constitutionnel qui ont analysé les nouvelles tendances d'interprétation de la Cour qui ont réinterprété la constitution politique de 1991.
C'est ainsi que les porte-paroles des gouvernements en place la nommaient à chaque fois qu'ils protestaient contre les décisions de cette corporation sur la reconnaissance des droits des homosexuels, la légalisation de l'avortement, la dépénalisation de la consommation de cannabis, la manipulation des sentences, les ordres donnés à des organes du gouvernement afin de protéger des droits sociaux, etc.
Pour résumer les critiques, c'est la Cour constitutionnelle qui légifère, qui décide les dépenses publiques, et c'est le supra pouvoir à l'intérieur de l'État colombien puisque les grandes décisions et problématiques nationales se constitutionnalisent et sont finalement toujours révisées par la Cour.
La Cour se défend en mettant en avant son rôle de protectrice de la Constitution qui parfois nécessite des prises de position pouvant être considérées comme un débordement de compétences comme c'est le cas des sentences manipulatrices et la portée juridique des effets des actions de tutelle.
Quant au fait de savoir si un gouvernement des juges est bénéfique ou non, on peut envisager deux points de vue. Si l'on considère la question selon l'optique maquiavéliquede la fin qui justifie les moyens, le gouvernement des juges est une panacée puisque la Cour apporte des solutions immédiates à nombre de problèmes. Elle rend effectif l'État constitutionnel et social de droit. Dans la plupart des cas elle décide de donner priorité aux droits fondamentaux des citoyens sans tenir compte des circonstances politiques ou des conséquences de sa décision.
La nature d'une constitution est plus proche d'un pacte entre gouvernants et gouvernés que d'une loi suprême créée par une autorité compétente. La Constitution, document écrit, semble souvent pétrifiée face aux nouvelles réalités sociales.
C'est donc au juge constitutionnel d'interpréter le Texte et de lui donner un sens moral actualisé. Bien que tous les systèmes juridiques soient classifiés, les systèmes du même genre sont tous différents et chacun a son propre paradigme.
Selon Habermas, un paradigme juridique déterminé explique comment comprendre les principes de l'État de droit et les droits fondamentaux pour qu'ils puissent remplir dans un contexte donné les fonctions que la Loi leur a données.
Par exemple, dans l'État démocratique de droit, la législation politique est considérée comme la matérialisation de ce paradigme. Dans le modèle social de droit, le paradigme juridique indique comment comprendre et appliquer les droits fondamentaux et les principes de l'État de droit.
Selon Habermas, les deux paradigmes juridiques qui ont eu le plus d'influence sur l'histoire du droit moderne et qui sont toujours en compétition sont le droit formel bourgeois et le droit matérialisé en termes d'État social.
En Colombie, le vieux paradigme sur lequel s'est bâti l'État
du dix-neuvième est l'État de droit. Des générations
d'avocats, de magistrats, juristes ont été formés dans le
cadre théorique de la séparation des pouvoirs de
Montesquieu, mais avec un pouvoir exécutif fort, presque
impérial, une sécurité juridique, infaillibilité de la loi et du
législateur, un respect strict de l'aphorisme latin lex dura
sed lex, théorisation des droits fondamentaux mais sans
mécanismes de protection de ces droits, etc.
Ce vieux paradigme a été déplacé par la Constitution de
1991 et le développement jurisprudentiel fait par la Cour en
matière de défense de droits fondamentaux.
La séparation des pouvoirs est à présent associée à une
certaine coopération entre eux. Le pouvoir exécutif a cédé
du pouvoir au législatif et la sécurité juridique a dû céder
face aux principes d'égalité et de justice. Le législateur a dû
se soumettre à la Cour constitutionnelle. L'État de droit a
fait place à l'emprise de la Constitution qui peut être
appliquée directement en matière de droits fondamentaux.
L'État colombien a laissé l'École de l'Exégèse et a adopté le pouvoir de la juridiction constitutionnelle.
Ce changement a été réalisé par des magistrats férus des nouvelles théories de philosophie du droit et des théories critiques. Les avocats et magistrats de la Cour ont été influencés lors de leurs études en Europe ou aux États Unis par des théoriciens come Rawls, Hart, Dworkin, Habermas et ont importé ces nouvelles idées.
Cet activisme prolifique de la Cour constitutionnelle a contribué à la création de deux groupes de doctrine constitutionnelle: les créations jurisprudentielles de protection des droits fondamentaux et les créations jurisprudentielles de protection de la suprématie constitutionnelle.
Cependant, le changement de magistrats pourrait faire pencher la balance vers un tribunal plus conservateur, ce qui pourrait compromettre les avancées en matière de protection des droits.
* Article de recherche
1 - Voir les arrets de la Cour Constitutionnelle colombienne: SU-1122 de 2001 M.R. Eduardo Montealegre Lynett, T-439 de 2000 M,R. Alejandro Martinez Caballero, T-116 de 2004 M.R. Eduardo Montealegre Lynett et T 566 de 1998 M.R. Eduardo Cifuentes Muñoz.
2 - Par exemple, l'arrêt C-776/2003 (M.R.Manuel José Cepeda) a declaré inconstitutionnelle l'augmentation de l'impôt de consommation ou nombreuses. Par rapport décisions de la Cour ont protégé les droits des homosexuels.
3 - Sur ce sujet voir: López-Daza, G. A. (2005). La Corte Constitucional colombiana: ¿un nuevo legislador? Editorial Universidad Surcolombiana.