Revista Jurídica Piélagus

Histoire et actualité constitutionnelles françaises

Elise Csrpentier

Doctora en Derecho (Université Aix-Marseille III - Francia) Maître de conférence (Université Aix Marseille II - Francia) Investigadora Institute Louis Favoreu (Francia)

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Carpentierelise@hotmail.fr

Artículo recibido: 15/04/2009 Aprobado: 15/08/2009

RESUMEN

El conocimiento de la historia constitucional francesa es interesante no sólo porque ayuda a entender el sistema actual, para entender los fundamentos, sino también porque Francia ha tenido experiencias muy diferentes y ofrece un verdadero laboratorio a la ciencia constitucional.

Desde 1789 a 1958, Francia ha tenido 15 constituciones escritas. Esta cifra es aún menor que el número real de los regímenes que han tenido éxito, debido a que algunos períodos de la historia se vivieron sin ningún tipo de Constitución (Comités de Salud Pública 1793, los gobiernos provisionales de 1848 y 1870, o el Régimen Vichy), y las Constituciones vigentes se han alterado a veces tan profundamente, que su revisión sólo puede ser comparado con un verdadero cambio de régimen (por ejemplo, el régimen de transformación en 1860,1852). Habida cuenta de esta riqueza y la complejidad relativa de la historia constitucional francesa, puede ser aconsejable, antes de embarcarse en un estudio temático de las principales cuestiones que figuran en ella, para hacer una cronología de los principales hitos en su desarrollo.

PALABRAS CLAVE

Historia constitucional francesa, separación de poderes en Francia, la Va República francesa, justicia constitucional en Francia.

RÉSUMÉ

La connaissance de l'histoire constitutionnelle française est intéressante, non seulement parce qu'elle permet de comprendre le régime actuel, d’en saisir les fondements, mais également parce que la France a connu des expériences très diverses et offre ainsi un véritable laboratoire à la science constitutionnelle.

De 1789 à 1958, la France a connu 15 Constitutions écrites. Ce chiffre est même inférieur au nombre réel des régimes qui se sont succédés, car certaines périodes de l'histoire furent vécues en dehors de toute Constitution (les Comités de salut public 1793, les gouvernements provisoires de 1848 et 1870, ou encore le régime de Vichy), et les Constitutions en vigueurfurent parfois modifiées si profondément que leur simple révision pouvait être assimilée à un véritable changement de régime (par exemple la transformation en 1860 du régime de 1852). Etant donné cette richesse et cette relative complexité de l'histoire constitutionnelle française, il peut être opportun, avant de se lancer dans une étude thématique des grands problèmes qu'elle recèle, de procéder à un rappel chronologique des grandes étapes ayant marqué son déroulement.

Elise Carpentier

MOT CLÉS

Histoire constitutionnelle française, séparation des pouvoirs en France, La V4™ République française, les

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L'histoire constitutionnelle française débute véritablement en 1789. Il est vrai que la monarchie française (qui commence au Moyen-âge avec le sacre de Hugues Capet en 987 et s'achève avec l'Ancien régime en 1789) avait vu se développer un certain nombre de règles coutumières, matériellement constitutionnelles et s'imposant au Roi lui-même, d'abord appelées « Lois du Royaume » puis « Lois fondamentales du Royaume »1.

Mais l'histoire des Constitutions françaises écrites débute véritablement avec la Révolution française. C'est en effet le 20 juin 1789, dans la salle du jeu de Paume à Versailles, que les députés du tiers-état prêtent le serment (dit « serment du Jeu de Paume») de ne pas se séparer avant d'avoir doté le royaume d'une Constitution. Si ce serment n'a pas de portée juridique, son impact symbolique est très fort puisqu'il fut le prélude à la transformation des Etats généraux (réunion des représentant des trois ordres composant alors la société : noblesse, clergé et tiers-état) en une Assemblée nationale constituante dont seront issus, outre l'abolition des privilèges et de la féodalité (4 août 1789), la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (26 août 1789) et les grands principes de la Constitution de 1791, première Constitution écrite de la France.

Cette Constitution, des 3 et 4 septembre 1791, met en place un régime de monarchie constitutionnelle. Cependant, la monarchie ne résiste pas longtemps à la contestation révolutionnaire. Le 10 août 1792, l'Assemblée vote la suspension des pouvoirs du Roi et fait élire au suffrage universel (masculin, mais pour la 1ère fois en France), une Convention nationale chargée de préparer une nouvelle Constitution. Au mois de septembre, cette Convention décrète l'abolition de la Royauté, proclame la République et entreprend récriture d'une nouvelle Constitution.

Un premier projet, d'inspiration girondine (c'est-à-dire notamment décentralisatrice) ne survit pas à la défaite de ses auteurs. La Convention confie alors la préparation d'un nouveau projet au Comité de salut public, dont elle adopte le projet de Constitution montagnarde le 24 juin 1793 (Constitution de l'An I de la République). Néanmoins, ce texte, adopté dans des conditions particulières2, ne fut jamais appliqué. La situation troublée tant à l'intérieur (contre-révolution) qu'à l'extérieur (menace d'intervention militaire des monarchies européennes) rendit l'application du régime régulier impossible. La loi du 19 vendémiaire an II déclara alors le gouvernement révolutionnaire jusqu'à la paix, laissant ainsi le Comité de salut public de Robespierre imposer son régime de Terreur.

’Jamais codifiées, mais figurées par un certain nombre de regalías et de cérémonials (comme ceux du sacre ou du palais) et formulées en adages, les Lois fondamentales du royaume définissent non seulement l'étendue et les limites du pouvoir du roi de France et les règles de dévolution de la couronne, mais aussi les libertés fondamentales des personnes et de toutes les communautés (territoriales, religieuses, etc.) qui en dépendent.

2Dans un climat de terreur et de délation, le vote étant public et oral, la Constitution avait été approuvée par 1800000 électeurs sur 6100000 ; il n'y eut que 11610 « non ».

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Après la chute de Robespierre (guillotiné le 27 juillet 1794), une commission chargée de rédiger les lois d'application de la Constitution de l'An I rédige un nouveau projet, plus conservateur, qui fut discuté puis adopté par la Convention - la même qu'en 1793 - le 22 août 1795 (5 fructidor An III, Directoire). Cette Constitution, accompagnée comme les précédentes d'une déclaration de droits, forme une sorte de compromis entre les règles de 1791 et celles de 1793, qu'elle s'efforce de réaliser en instaurant le bicaméralisme (ou bicamérisme), destiné à assurer la modération de la représentation nationale. Dans le même temps, le pouvoir exécutif, prenant la forme d'un Directoire, recouvre une véritable autorité : il conserve une forme collégiale, mais au lieu des 24 membres prévus par la Constitution de 1793, il n'en comporte que 5, et il se voit doté pour la 1ère fois du pouvoir réglementaire, c'est-à-dire de la possibilité de prendre des actes nécessaires à l'exécution des lois. Malgré un équilibre apparent, cette Constitution fut dès sa naissance menacée deux conspirations, l'une révolutionnaire et l'autre royaliste. Le Directoire et les Conseils n'appartenant pas à la même majorité politique, un conflit inévitable et surtout insoluble vit le jour. Il ne trouva de solution qu'à travers le coup d'Etat napoléonien du 18 brumaire an VIII.


Sous le régime du Consulat provisoire (11 novembre au 13 décembre 1799), une commission où prévaut l'influence de Sieyès, prépare un projet de Constitution qui, acceptô parle peuple, devient la Constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799), instaurant le Consulat. Cette Constitution prend le contre-pied de la Constitution précédente : en particulier, elle remplace le pouvoir des Assemblées par un régime personnel au profit de l'exécutif. Ainsi, Napoléon Bonaparte, premier Consul, concentre tous les pouvoirs.

Après la Paix d'Amiens3, le Sénat accorde à Napoléon la prorogation de ses pouvoirs pour dix ans et le peuple lui confère le Consulat à vie (Sénatus-consulte du 16 thermidor an X : Constitution du 8 août 1802). Cette nouvelle Constitution renforce évidemment la concentration des pouvoirs entre les mains du premier Consul.

Cette domination est définitivement institutionnalisée deux ans plus tard, lors de l'adootion de la Constitution du 18 mai 1804 (Senatus-consulte du 28 floréal an XII), mettant en place le r Empire. L'Empereur (héréditaire) remplace le premier Consul et monopolise tous les pouvoirs. C'est ainsi le début d'une époque durant laquelle la France s'est dotée d'un système législatif et administratif moderne (codification ; organisation de l’administration centrale), mais par ailleurs, les libertés sont assez largement confisquées. C'est aussi une époque où l'Empire français tente de s'imposer partout où il peut en Europe et même au-delà. mais cette toute-puissance de l'Empereurftnft par montrer ses limites.

Après l'entrée des Alliés (troupes prussiennes et russes) dans Paris, au début de l'année 1814, Napoléon abdique et part en exil à l’île l'Elbe. Le Sénat, auquel l'article 54 de la Constitution de l'an X permet de pourvoir aux cas non prévus par la Constitution, vote alors un projet de Constitution qu'il propose à Louis XVIII (petit frère de Louis XVI, dont la Révolution a eu la tâte), mais celui-ci le refuse et fait rédiger une Charte constitutionnelle qu'il octroie à ses sujets le 4 juin 1814 (Restauration monarchique). En droit c'est un régime qui attribue de fortes prérogatives au Roi (qui est par exemple le détenteur exclusif de l'initiative législative), mais en pratique, sous Louis XVIII, la France connaît son premier régime parlementaire (puisqu'en fait, les ministères doivent être soutenus par la majorité des députés).

aLa Paix d'Amiens, conclue le 25 mars 1802, est un traité entre le Royaume-Uni, d'une part, et la France, l'Espagne et la République batave d'autre part, et stipulant que toutes les possessions des unes et autres parties prises parfait de guerre seront restituées, sauf l'île de la Trinité et Ceylan, laissées aux Britanniques.


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Un bref retour est tenté par Napoléon, parvenu à s'enfuir de l'île d'Elbe. Il prononce dès son arrivée sur le continent la dissolution des Chambres et convoque les collèges électoraux afin de modifier la Constitution. Est aiois adopté l'Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire (Cent-jours), promulgué le 2 avril 1815 puis soumise au plébiscite.

Mais la nouvelle abdication de l'Empereur suite à la défaite de Waterloo (le 22 juin), marque la fin des Cent-jours et permet la nouvelle accession au trône de Louis XVIII. Celui-ci gouverne de façon modérée jusqu'en 1924, date à laquelle lui succède Charles X. Plus autoritaire et nostalgique de l'absolutisme royal, Charles X restreint le droit de suffrage, supprime un certain nombre de libertés (dont la liberté de la presse) et dissout la Chambre des députés, ce qui débouche sur trois journées révolutionnaires qui suffisent à emporter le régime (les Trois Glorieuses : 27-28-29juillet 1830).

Un gouvernement provisoire est nommé le 29 juillet. Quelques jours plus tard, Louis-Philippe d'Orléans accepte une nouvelle Constitution (la Charte constitutionnelle du 14 août 1830, Monarchie de juillet) et lui jure fidélité en qualité de Roi des français. Cette Charte Drésente l'originalité de n'être plus octroyée, mais d'avoir une nature contractuelle; c'est un pacte. Le Roi voit ses pouvoirs légèrement diminués par rapport à la Charte de 1814 tandis que ceux des Chambres sont renforcés. Surtout, cette Charte met en place un régime parlementaire de type dualiste (également appelé « orléaniste »), c'est-à-dire dans lequel les ministres sont à la fois responsables devant les Chambres et devant le Chef de l'Etat, ce qui est tout à fait nouveau. Enfin, la Charte de 1830 se caractérise par l'organisation politique d'une opposition parlementaire, opposition qui dégénérera plus tard en émeute à la suite du projet de réforme électorale proposé par Louis-Philippe qui sera obligé d'abdiquer.

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Le 24 février 1848, un gouvernement provisoire est nommé par la Chambre des députés. Ce Gouvernement prononce la dissolution des Chambres, proclame la République et convoque une Assemblée constituante qui adopte la Constitution le 4 novembre (Constitution de la llème République, du 4 novembre 1848). Cette Constitution présente cette caractéristique notable que le Président de la République et l'Assemblée sont tous deux issus du suffrage universel direct, ce qui a pour conséquence de mettre face à face deux pouvoirs forts. Comme c'était prévisible, un désaccord survient alors rapidement entre l'Assemblée (sans majorité stable mais à tendance monarchique) et le Président de la République (Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon Ier) qui souhaite un retour à l'Empire. Suivant l'exemple de son oncle, Louis-Napoléon Bonaparte renverse la République par un coup d'Etat du 2 décembre 1851.

La rédaction de la Constitution est alors remise à une commission puis à un fidèle de Louis-Napoléon. Ce travail débouche sur la Constitution du 14 janvier 1852, contenant virtuellement le llnd Empire, que le Senatus-consulte du 7 novembre 1852 établit officiellement, en faisant du Prince-Président un Empereur héréditaire (Napoléon III). Celui-ci concentre le plus clair des pouvoirs : la totalité de la fonction exécutive et l'essentiel de la fonction législative. Mais l'empire autoritaire se libéralise à partir de 1860 et périt avec la défaite de Sedan le 2 septembre 1870, où Napoléon III est fait prisonnier.

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La République est proclamée le 4 septembre. Un gouvernement de défense nationale est formé et une Assemblée nationale est élue, mais elle ne parvient pas à adopter une Constitution du fait de la très forte opposition entre les partisans de la République et ceux qui souhaitent un retour à la monarchie. Elle nomme Adolphe Thiers chef du pouvoir exécutif et lui donne le titre de Président de la République (« Constitution Rivet » du 31 août 1871). En 1873, elle adopte la « Constitution de Broglie » (dite « loi des trente », car adoptée par une commission de trente membres, ou « loi chinoise »), qui vise à diminuer le rôle de Thiers et prévoit l'élaboration d'une nouvelle Constitution. Thiers, mis en minorité par la majorité monarchiste de l'Assemblée, démissionne en mai 1873 et est remplacé par le maréchal de Mac-Mahon. Un essai de restauration monarchique est alors tenté mais se solde par un échec (le Comte de Chambord, prétendant au trône, refuse le drapeau Tricolore). L'assemblée adopte alors la loi du septennat qui confie pendant sept ans le pouvoir à Mac-Mahon et entreprend la rédaction des trois lois constitutionnelles de 1875 (25 février, organisation des pouvoirs et Sénat et 16 juillet, rapports entre les pouvoirs), formant la Constitution de la lllime République. Si la République n'est pas explicitement pérennisée, elle l'est implicitement par l'amendement Wallon (adopté à une voix de majorité) selon lequel « le Président de la République est élu » (par les deux Chambres : Chambre des députés et Sénat). Cette Constitution est celle qui connut pour l'heure la plus longue existence (65 ans). Il s'agissait au départ d'un régime parlementaire dualiste, mais qui connut dès le départ une importante crise (la crise du 16 mai 1877), qui aboutit à une pratique totalement parlementariste de la Constitution et, de fait, à un régime d'Assemblée. Pour finir, la lllème République se suicide avec l'adoption de la loi du 10 juillet 1940, par laquelle l'Assemblée nationale confie les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain.

Débute alors l'une des périodes les plus troubles de l'histoire de France (celle du régime de Vichy, autoritaire et collaborationniste), que la doctrine officielle s'est longtemps efforcée de gommer, le Général de Gaulle ayant lui-même déclaré le 25 août 1944, que « la République n'a jamais cessé d'exister ». Un régime provisoire est alors établi (le Gouvernement provisoire de la République française : GPRF), sous lequel sera préparée et adoptée la Constitution. Un premier projet -revenant au monocamérisme - est rejeté par référendum le 5 mai 1946, mais le second projet, qui restaure le Sénat, est adoptée par le peuple. Cette Constitution (du 27 octobre 1946, iV*m* République) met en place un Président de la République, deux Chambres (l'Assemblée nationale et le Conseil de la République), et un président du Conseil ce qui, dans les textes au moins, constitue une innovation. Elle tente de rationaliser les mécanismes d'engagement de la responsabilité politique des organes mais est encore marquée par domination des Assemblées et une grande instabilité ministérielle. Elle prend fin suite à la crise du 13 mai 1958, moment où éclate en Algérie un mouvement insurrectionnel d'une Dartie de l'armée hostile à l'abandon de l'Algérie par la France. Le Président de la République René Coty, ne parvenant pas à trouver une solution, fait appel « au plus illustre des Français » : Chartes de Gaulle, lequel accepte de former un gouvernement et de mener à bien la réforme constitutionnelle du pays.

Une Constitution est donc élaborée suivant les vœux du Général de Gaulle, déjà exprimés dans ses discours de Bayeux et d'Epinal de 1946 (Constitution du 4 octobre 1958, Vima République). Cette Constitution conserve l'architecture du régime parlementaire (l'exécutif et le législatif disposant de moyens de se « détruire » mutuellement), mais ce régime est assez fortement rationalisé et le Parlement (composé de l'Assemblée nationale et du Sénat) est placé face à un exécutif fort. Le Président de la République est ainsi présenté comme la « clé de voûte » des institutions (position que traduisent notamment les articles 5 et 16 ûe la Constitution), Sa domination est renforcée suite à la réforme de 1962 instaurant son élection au suffrage universel direct ainsi que par une oratique tendanciellement présidentialiste conduisant les analystes à qualifier le régime politique français de semi-présidentiel. Certes, les périodes de cohabitation qu'a connues la France (1986-1988,1993-1995 et 1997-2002) ont porté à nuancer cette analyse, mais l'instauration du quinquennat en 2000 a rendu moins probable ce type de situation. Et c'est en définitive essentiellement pour tenter de remédier au déséquilibre inhérent au régime que le Président Sarkozy a souhaité réformer en profondeur la Constitution (souhait exprimé dans un discours prononcé à Epinal le 12 juillet 2007). Après mûre réflexion (en particulier dans le cadre d'un Comité présidé par l'ancien Premier ministre Edouard Balladur), cette réforme fut adoptée à une voix de majorité par le Congrès réuni à Versailles et promulguée le 23 juillet 2008. Aux termes de l'exposé des motifs, elle poursuit 3 objectifs principaux : rénover les modalités d'exercice du pouvoir exécutif, renforcer les pouvoirs du Parlement- plus particulièrement de l'opposition - et améliorer la qualité de la loi, et garantir plus efficacement les droits et libertés des individus. Cette 24èn* révision de la Constitution de 1958 est, dans le texte, la plus importante qu'ait connue la V4"* République, mais il est clair que seule la pratique permettra - une fois l'ensemble des textes nécessaires à son application adoptés - d'en mesurer la portée effective.

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Ce rappel chronologique de l'histoire constitutionnelle française étant achevé, il paraît intéressant de procéder maintenant à une remise en perspective afin de voir, suivant une présentation thématique, ce à quoi cette succession d'expériences diverses a abouti relativement aux questions les plus topiques du droit constitutionnel. Seront donc envisagées successivement les problématiques « classiques » (I), puis les problématiques plus « modernes » (II) du droit constitutionnel.

1 - LES PROBLÉMATIQUES < CLASSIQUES » DU DROIT CONSTITUTIONNEL

Dans la conception révolutionnaire, la Constitution est essentiellement un acte destiné à organiser la séparation des pouvoirs (A). Mais ce n'est pas tout, il est aussi classiquement admis que la Constitution, source des sources, a vocation à établir la hiérarchie des normes au sein de l'ordre juridique (B).

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1.1    La séparation des pouvoirs

La séparation des pouvoirs peut être réalisée par la Constitution suivant deux modalités. Elle peut être horizontale, c'est-à-dire fonctionnelle (1), ou verticale, c'est-à-dire territoriale (2).

1.1.1    La séparation horizontale des pouvoirs

Bien que Montesquieu eût, dès avant 1789, dans son œuvre majeure De /'Esprit des lois, offert l'une des plus brillantes contributions à la théorie de la séparation horizontale des pouvoirs, les Constitutions françaises n'en ont pas toujours retenu le principe. La France a en effet connu un certain nombre de régimes de confusion des pouvoirs (a), avant que la séparation des pouvoirs finisse par l'emporter (b).

1.1.2    Les régimes de confusion des pouvoirs

Les régimes de confusion des pouvoirs sont ceux dans lesquels la puissance de l'Etat appartient tout entière à un même organe. Si cette situation était l'une des caractéristiques les plus évidentes de la monarchie absolue, contre laquelle s'est violemment élevée la Révolution française, force est de constater qu'elle a parfois de nouveau trouvé à s'exprimer par la suite.

Tout d'abord, elle était contenue en germe dans la Constitution Montagnarde du 24 juin 1793, qui instituait certes un corps exécutif face à ¡'Assemblée unique, mais celui-là était totalement soumis à celle-ci. Et si cette organisation ne fut en fait jamais expérimentée, elle laissa s'exercer un autre régime de confusion des pouvoirs, totalement factuel, au profit des Comités de Salut Public et de sûreté générale de la Commune de Paris.

Par la suite, c'est au profit de l'exécutif que s'est à diverses reprises réalisée la confusion des pouvoirs. Elle caractérise en effet la plupart des régimes napoléoniens, à commencer par le Consulat de la Constitution de 1799, qui remplace le pouvoir des assemblées par un régime personnel au profit du Premier Consul, lequel concentre tous les pouvoirs (proposition des lois, exécution des lois, pouvoir budgétaire étendu...) ; les deuxième et troisième consuls n'ont qu'une voix consultative. Quant au pouvoir législatif, il est divisé entre quatre Assemblées (multicamérisme) : un Conseil d'Etat, un Tribunat, un le Corps législatif et un Sénat. La domination de l'exécutif n'est évidemment que renforcée lorsque Bonaparte se voit reconnaître les qualités de premier Consul à vie (en l'an X, 1802) puis d'Empereur (en l'an XII, 1804), les compétences des Assemblées étant à chaque fois un peu plus réduites, quand elles ne furent pas tout simplement supprimées (à l'image du Tribunat en 1807). Enfin, la Constitution du second Empire (1852) s'inscrit dans la même perspective, l'Empereur Napoléon III disposant de l'essentiel de la puissance de l'Etat. Il est notamment assisté d'un Conseil d'Etat qui intervient d'une manière déterminante dans la procédure législative. Ce régime se libéralise toutefois à partir de 1860, moment où une certaine séparation des pouvoirs commence à s'y réaliser.

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1.1.3 Les régimes de séparation des pouvoirs

On distingue habituellement entre deux grands types de régimes de séparation des pouvoirs, selon que séparation est stricte (1) ou souple (2), mais il existe en réalité toute une gamme de situations intermédiaires, ou de régimes hybrides, comme en témoignent certains moments de l'histoire constitutionnelle française (3).

1.1.3.1 Les régimes de séparation stricte des pouvoirs

Les régimes de séparation stricte des pouvoirs sont généralement qualifiés de « présidentiels ». Ce sont ceux dans lesquels les pouvoirs et les organes auxquels ils sont confiés sont strictement séparés, chaque organe bénéficiant d'une indépendance structurelle (les uns n'interviennent pas dans la désignation des autres) et fonctionnelle (chaque organe se borne à exercer la fonction qui lui a été dévolue) par rapport aux autres, sur lesquels il ne dispose donc d'aucun moyen de pression. La France a connu trois brèves expériences de ce type.


La première ne dura pas plus d'un an. Il s'agissait de la Constitution de 1791, qui répartissait la puissance étatique entre le Roi, assisté de ministres, et une Assemblée législative, très indépendants l'un de l'autre : pas de droit de dissolution, pas de responsabilité du Monarque ni des ministres, et les ministres ne peuvent être choisis dans ¡'Assemblée La seule entorse à la rigidité de la séparation des pouvoirs résidait dans le droit de véto suspensif confié au Monarque. Mais précisément, cette rigidité n'a rendu que plus insurmontables les différends entre le Roi et l'Assemblée, celle-ci ayant fini par suspendre les pouvoirs de celui-là.

La deuxième expérience française de séparation stricte des pouvoirs a résulté de la Constitution de 1795 (an III). Cette Constitution mettait en place un exécutif collégial (le Directoire) et Dartageait le Douvoir législatif entre deux Chambres (le Conseil des Cinq-Cents et le Conseil des Anciens) qui certes procédaient à la désignation des cinq membres du Directoire, mais ne disposaient ensuite d'aucun moyen d'action sur lui, qui n'avait de son côté pas le pouvoir de les dissoudre. Là encore, les conflits entre le Directoire et les Conseils finirent par s'avérer insurmontables, ce qui facilita évidemment l'accession au pouvoir de Napoléon en 1799.

La dernière expérimentation française de la séparation stricte des pouvoirs eut lieu durant le II*™ République. La Constitution de 1848 présentait en effet cette caractéristique qu'elle confiait d'importants pouvoirs tant au Président de la Républiaue au'à l'Assemblée, tous deux issus du suffrage universel direct, sans toutefois leur donner d'instruments pour résoudre les éventuels différends susceptibles de les opposer. Il est vrai que les ministres pouvaient être choisis au sein de l'Assemblée où ils avaient un droit de parole, mais leur responsabilité n'était pas formellement organisée. Quant au Chef de l'Etat. s'il pouvait intervenir dans le processus législatif (en faisant présenter des projets de lois et en demandant une nouvelle délibération), il n'avait en principe pas le pouvoir ae dissouare l'Assemblée. Il le fit néanmoins, et c'est avec ce coup d'Etat du 2 décembre 1851 que la llime République prit fin.

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De manière générale, on observe dans chaque cas que le régime portait en lui les causes de sa propre chute, car c'est toujours en définitive l'inexistence de moyens d'action des organes les uns sur les autres (droit de dissolution et responsabilité ministérielle) qui a rendu insurmontables les conflits les opposant. Deux d'entre eux ont d'ailleurs péri par coup d'Etat et tous ont été suivis de régimes de confusion des pouvoirs.

1.1.3.2. Les régimes de séparation souple des pouvoirs

Les régimes de séparation souple des pouvoirs sont généralement aualifiés de « parlementaires ». Ce sont ceux dans lesquels les pouvoirs sont répartis entre divers organes appelés à collaborer pour les mettre en œuvre, intervenant dans les processus de désignation les uns des autres, et disposant de moyens d'action réciproques pouvant allerjusqu'à la destruction.

La France a connu sa première expérience de régime parlementaire à l'époque de la Restauration. En effet, la Charte constitutionnelle de 1814 confiait d'importants pouvoirs au Monarque, mais instaurait un système de relations entre les Chambres (Chambre des Pairs et Chambre des députés) etles ministres, lesquels étaient politiquement responsables devant le Roi et devaient en fait être soutenus par la majorité des députés. Si le système fonctionna de façon équilibrée sous le règne de Louis XVIII (mort en 1924), il en alla tout autrement sous le règne de son successeur, Charles X, à qui la Chambre des députés s'efforça de rappeler les principes fondamentaux du régime parlementaire dans sa célèbre réponse au Discours du Trône, prononcée le 16 mars 1830. Mais ce « rappel à l'ordre » fut vain et trois journées révolutionnaires suffirent, moins de quatre mois plus tard, pour emporter le régime.

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La Charte constitutionnelle de 1830 reprit à son tour les grandes lignes du régime parlementaire mis en place par la précédente, tout en diminuant les pouvoirs du Roi au profit des Assemblées, devant lesquelles le Gouvernement est désormais politiquement responsable. Mais cette Charte marque l'avènement du régime parlementaire dualiste (ou « orléaniste »), c'est-à-dire dans lequel les ministres sont responsables devant le Parlement (ou au moins une Chambre) et devant le Chef de l'Etat, alors que celui de 1814 était moniste. Dans le même temps, la Constitution de 1830 se caractérise par l'organisation politique d'une opposition parlementaire, opposition qui dégénérera plus tard en émeute sur le thème de la réforme électorale, contraignant Louis-Philippe à abdiquer.


Le régime parlementaire dualiste est encore celui pour lequel optèrent les constituants de 1875, mais la lllème République connut dès l'origine une importante crise, qui fut déterminante pour son existence : la crise du 16 mai 1877. Les faits sont les suivants : Mac-Mahon, Président de la République mais monarchiste, est opposé à la Chambre des députés (républicaine) qu'il décide de dissoudre. Les nouvelles élections ramènent à l'Assemblée une majorité républicaine. Gambetta prononce alors cette phrase devenue célèbre : Mac-Mahon devra « se soumettre ou se démettre ». Mac-Mahon tente dans un premier temps de résister puis se soumet. Il démissionne en 1879. Lui succède Jules Grévy, qui renonce définitivement à exercer le droit de dissolution (« Constitution Grévy »). Le président devient alors une figure qui peut être influente mais qui est dépourvue de pouvoirs réels. Plus généralement, cette crise a fait dévier la pratique institutionnelle depuis l'orléanisme vers la tradition révolutionnaire, où l'Assemblée nationale est la pièce maîtresse du jeu politique, et où les ministères sont soumis à ses mouvements d'humeur, puisque la dissolution ne peut plus les protéger. Ainsi, la crise du 16 mai marque le basculement irréversible du régime du régime parlementaire vers le régime parlementariste, également qualifié de régime d'Assemblée.

Au sortir de la seconde Guerre mondiale, la Constitution de 1946 opte à nouveau pour le régime parlementaire, auquel elle ajoute un rouage supplémentaire, en institutionnalisant la figure du Président du Conseil, qui n'apparaissait qu'en pratique auparavant. Les constituants restaurent par ailleurs le droit de dissolution et tentent de rationaliser les mécanismes d'engagement de la responsabilité politique des organes constitutionnels, mais ces efforts sont vains. Le droit de dissolution ne retrouve en fait aucune vigueur, tandis que la « valse des ministères » qui animait la lllème République ne tarde pas à reprendre son cours sous la IV*"8 qui, somme toute, connut la même dérive parlementariste que son aïeule.

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C'est précisément pour tenter d'éviter cette dérive que le constituant de 1958 s'est efforcé de mettre en place un régime spécifique, essentiellement parlementaire mais non dénué de certains accents « présidentiels ».

1.1.3.3 Les régimes hybrides

Le premier régime hybride qu'a connu la France mérite d'être signalé, bien qu'il n'ait eu qu'une courte durée de vie et n'ait pour ainsi dire pas été expérimenté. Il s'agit de celui mis en place durant les Cent-jours, lors du bref retour de Napoléon en 1815, par l'acte additionnel aux Constitutions de l'Empire. Cette Constitution, rédigée par Benjamin Constant, instituait un régime assez original, dans lequel l'Empereur disposait d'un droit de dissolution, mais où les ministres n'étaient pas politiquement responsables.

Le second régime original qu'a connu la France n'est autre que le régime actuel, celui de la V4™ République. La Constitution de 1958 reprend en effet les éléments caractéristiques du régime parlementaire (droit de dissolution au profit du Chef de l'Etat et responsabilité politique du Gouvernement devant le Parlement), mais le rationalise (par une stricte réglementation des moyens d'action réciproque des organes) et donne d'importants pouvoirs au Président de la République, afin d'éviter la dérive parlementariste vers le régime d'Assemblée qu'ont connue les même et jyème Républiques. La tendance «semi-présidentielle» du régime fut encore renforcée par la réforme de 1962, instaurant l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, ainsi que par la pratique, qui vit la responsabilité politique gouvernementale tomber en désuétude, tandis que le Chef de ['Etat a toujours usé sans grande réserve les pouvoirs que lui confie la Constitution, y compris parfois en période de cohabitation. Il est vrai que la récente révision constitutionnelle affichait comme objectifs un meilleur encadrement de certains pouvoirs présidentiels (pouvoir de nomination, pouvoir de grâce et pouvoirs exceptionnels notamment ; fin de la présidence du Conseil supérieur de la magistrature) et une revalorisation du Parlement (meilleure maîtrise de l'ordre du jour, pouvoirs accrus en matières internationale et européenne, remise au premier plan de la mission de contrôle, etc). Mais elle ne devrait pas conduire à une remise en cause trop radicale des caractères du régime, qui devrait vraisemblablement demeurer semi-présidentiel.


2- LA SÉPARATION VERTICALE DES POUVOIRS

Sous réserve du cas très particulier de la Nouvelle-Calédonie, la France ne connaît pas véritablement de séparation verticale du pouvoir. Elle n’est pas, à la différence de l'Espagne, un Etat composé ; elle est un Etat unitaire décentralisé. Pour autant, il serait erroné de croire que l'organisation territoriale du pouvoir est dénuée de dimension constitutionnelle en France, puisqu'elle s'articule en réalité autour de deux grands principes constitutionnels, faisant écho aux principales conceptions historiques en la matière (jacobine et girondine) : l'indivisibilité de la République (a) et la libre administration des collectivités territoriales (b), qui constituent les limites haute et basse entre lesquelles peut osciller l'autonomie territoriale en France.

2.1 L'indivisibilité de la République

Il paraît intéressant de dire quelques mots de l'histoire (1) du principe d'indivisibilité de la République avant d'en mettre en lumière le contenu actuel (2).

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2.1.1    Historique du principe d'indivisibilité de la République

En posant en son article 1er que « La France est une République indivisible», l'article 1er de la Constitution de 1958 s'inscrit de toute évidence dans la continuité historique et constitutionnelle depuis 1791.

La France est en effet un Etat traditionnellement centralisateur. Cette tradition remonte à la formation même de l'Etat français, dont l'unité s'est réalisée au détriment des féodalités. Le Roi s'est construit contre les seigneurs et c'est ainsi, seulement, qu'à pu être assurée l'unité et l'autorité du pouvoir royal. De fait, contrairement à une idée largement répandue, la centralisation n'a pas débuté sous ;e règne de Louis XIV (le « Roi soleil », figure majeure de l'absolutisme) mais avec Henri IV (Roi de France de 1589 à 1610), puis Louis XIII et le Cardinal de Richelieu. Louis XIV n'a fiait que oerfectionner ce système, qui lui permettait de conforter sl puissance.

Si les révolutionnaires contestaient les excès de centralisation, ils ne rejetaient pas totalement l'idée d’unité et d'indivisibilité de l'Etat, dans la mesure où elle apparaissait comme la plus propice à assurer l'égalité des citoyens. La première Constitution française disposait en conséquence que «le Royaume est un et indivisible», et ce principe fut par la suite repris par la plupart des Constitutions françaises, en particulier par les Constitutions républicaines de 1793, 1795, 1799 et 1848, affirmant à leur tour que «La République française est une et indivisible». La Constitution de 1946 a quant à elle abandonné la référence à l'unité de la République pour ne conserver que le principe de son indivisibilité, dans une formule reprise mot pour moten 1958.

2.1.1.1    Contenu du príncipe d'indivisibilité de la République

Elise Carpentier

Le contenu de ce principe est longtemps reste énigmatique, incertain et controversé. En l'absence d'une véritable juridiction constitutionnelle, avant 1958, l'interprétation de la Constitution était essentiellement politique et non juridictionnelle, donc nécessairement plus souple et évolutive.


Aujourd'hui, il est possible de considérer que, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel, souvent en lien avec d'autres principes constitutionnels, ce principe emporte trois séries d'exigences : l'indivisibilité du peuple (a), l'indivisibilité du territoire (b) et l'indivisibilité de la souveraineté (c).

2.1.1.2 L'indivisibilité du peuple

L'indivisibilité du peuple français a été clairement reconnue par le Conseil constitutionnel dans sa décision Statut de la Corse de 19914. Selon le Haut conseil, en effet, la référence faite au «peuple français» dans la Constitution de 1958, comme dans de nombreux textes constitutionnels antérieurs d'ailleurs, s'oppose à la reconnaissance d'un «peuple corse, composante du peuple français» par le législateur, car la Constitution «ne connaît que le peuple français composé de tous les citoyens français, sans distinction d'origine, de race ou de religion». Cette position est réaffirmée dans la décision rendue le 15 juin 1999 sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, dans laquelle le Conseil constitutionnel se réfère au «principe d'unicité du peuple français».

Ainsi, le principe d'indivisibilité du peuple français interdit la reconnaissance de minorités, présentant une attache particulière avec une partie du territoire, auxquelles seraient attachés des droits spécifiques et collectifs. Dans le domaine linguistique par exemple, ce principe s'oppose à ce que l'enseignement d'une langue régionale revête un caractère obligatoire, que ce soit pour les élèves ou pour les enseignants5.

En revanche, le principe d'unicité du peuple français n'exclut pas la reconnaissance, au sein de la République, des populations d'outre-mer, puisque le Préambule de la Constitution leur reconnaît le droit à la libre détermination et à la libre expression de leur volonté6. Le nouvel article 72-3 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle de 2003, confirme cette reconnaissance des populations d'outre-mer au sein de la République.

2.1.1.3 L'indivisibilité du territoire

L'indivisibilité du territoire comporte deux séries d'exigences.

En premier lieu, elle justifie une stricte limitation du droit de sécession. Ce droit n'est pas consacré par la Constitution de 1958, la France ayant laissé aux territoires d'outre-mer une possibilité de choisir entre l'indépendance ou le maintien dans la République. Mais le Conseil constitutionnel est venu le consacrer en s'appuyant sur l'article 53 de la Constitution, aux termes duquel «nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n'est valable sans le consentement des populations concernées»7. Or, dans le même temps, le Conseil s'est attaché à en encadrer strictement l'exercice : en particulier, les populations intéressées doivent être consultées ; il ne peut s'exercer qu'au profit des collectivités d'outre-mer; l'initiative doit être prise par les autorités compétentes de la République; la sécession doit être autorisée par le Parlement; etc...

En second lieu, l'indivisibilité du territoire implique une uniformité minimale des droits applicables sur le territoire national. Certes, l'indivisibilité de la République n'implique pas nécessairement l'uniformité statutaire des collectivités territoriales, qui peuvent bénéficier de statuts distincts en fonction de la catégorie dont elles relèvent (contrairement à une idée largement répandue auparavant). Par ailleurs, au-delà de cette diversité statutaire, les collectivités territoriales disposent depuis 2003 d'un droit à l'expérimentation (art. 72 al. 4 CF), leur permettant de déroger, pour un objet et une durée limitées, aux dispositions législatives et réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences. Or, ce droit est naturellement susceptible d'accentuer


“Décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991.

décision n° 2001-454 DC, du 17 janvier 2002, Loi relative à la Corse.

‘Décision n° 2000-428 DC, du 4 mai 2000, Consultation de la population de Mayotte.

’Décisions n" 75-59 DC, du 30 décembre 1975, Loi sur l'autodétermination des Iles Comores et n" 87-226 DC du 2 juin 1987, Consultation des populations calédoniennes.

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(temporairement) la diversité des règles juridiques applicables sur le territoire national, qu'il s'agisse des règlements nationaux (ce qui était déjà possible avant) ou même des bis (ce qui est une véritable innovation). Plus généralement, le législateur peut toujours, afin de tenir compte des particularismes locaux, limiter le champ d'application de ses actes à telle partie du territoire ou en exclure telle autre8. Enfin, depuis la révision constitutionnelle de 2003, le nouvel article 37

1 de la Constitution prévoit que la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental, ce qui peut, une fois encore, être de nature à accroître la territorialisation du droit français.

Néanmoins, cette territorialisation du droit n'est pas sans limite, car le principe d'indivisibilité du territoire implique l'unité législative et réglementaire dans le domaine des droits et libertés. Cela signifie que les droits et les libertés doivent s'appliquer de la même façon sur l'ensemble du territoire. C'est là un principe essentiel qui s'applique même en cas d'usage du droit à l'expérimentation. Cette exigence constitutionnelle avait été oosée par le Conseil constitutionnel dans une décision de 1985"; elle fut régulièrement confirmée par la ;ur SDrudence postérieure10 avant de l'être par le constituant lui-même lors de la révision de 2003, excluant notamment que le droit à l'expérimentation puisse s'exercer lorsque sont en cause «les conditions essentielles d'exercioe d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti» (art. 72 al. 4 CF).

2.1.1.4 L Indivisibilité de la souveraineté

L'indivisibilité de la souveraineté recouvre elle aussi deux aspects.

Tout d'abord, elle implique l’unité du pouvoir initial de l'Etat, dont l'exercice ne saurait être confié aux collectivités territoriales. En particulier, celles-ci ne sauraient disposer d'un authentique pouvoir législatif (pouvoir normatif initial par excellence), du pouvoir de conclure des engagements internationaux, ou encore d'un pouvoir juridictionnel. Comme l'écrit le professeur François Luchaire, «une collectivité territoriale s'administre, elle ne se gouverne pas». Ainsi, les actes que prennent les collectivités territoriales n'interviennent jamais directement sur la base de la Constitution, mais s'appuient toujours sur des lois, auxquelles ils sont subordonnés. C'est ce qui ressort d'une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel11, non contredite par la révision constitutionnelle de 2003. D'une part, en effet, le pouvoir reconnu aux collectivités territoriales de déroger à titre expérimental aux lois nationales oui régissent leurs compétences ne peut s'exercer que lorsque le législateur l'a prévu. D'autre part, les actes que peuvent adopter les départements et régions d'outre-mer (DROM) et les collectivités d'outre-mer (COM) dans le domaine de la loi sur la base des articles 73 et 74 de la Constitution ne sont jamais que des actes administratifs, soumis aux lois nationales et au contrôle du juge administratif. En toutes hypothèses, enfin, les transferts de compétence consentis par le législateur sont toujours réversibles. Pour terminer sur ce point, il convient d'observer que si le principe d'indivisibilité de la souveraineté interdit de Dartager avec les collectivités territoriales l'exercice de la puissance initiale de l'Etat, il ne s'oppose pas à ce que celles-ci soient, dans une certaine mesure, associées à sa mise en œuvre12.


‘Cf. la décision n° 94-358 DC du 26 Janvier 1995, Aménagement et développement du territoire et, concrètement, le droit local encore très vivace en Alsace-Moselle ou en Corse.

’Décision n* 84-185 DC du 18 Janvier 1985, Loi Chevènement.

“Cf. notamment la décision n” 96-373 DC, du 9 avril 1996, Autonomie de la Polynésie française, affirmant que le principe de libre administration des collectivité territoriale « ne saurait conduire à ce que les conditions essentielles de mise en œuvre des libertés publiques et donc l'ensemble des garanties que celles-ci comportent dépendent des collectivités territoriales...». uCf. notamment les décisions précitées n’ 85-195 DC, d u 8 août 1985 et n* 2001-454 DC, du 17 janvier 2002.

Elise Carpentier

“C'est ainsi que les organes délibérants des COM et de la Corse peuvent proposer des modifications aux textes législatifs ou réglementaires nationaux pour tenir compte des particularismes locaux, mais il n'en résulte aucune contrainte pour l'Etat. Par ailleurs, l'article 74 al. 6 de la Constitution prévoit que les institutions des COM sont consultées sur les projets et propositions de loi et les projets d'ordonnances ou de décrets comportant des dispositions particulières les concernant Surtout-et c'est plus nouveau - depuis 2003. la loi oeut prévoir la consultation des électeurs inscrits dans les collectivités lorsqu'il est envisagé de donner à une collectivité territoriale un statut particulier, de modifier son organisation ou ses limites territoriales. Enfin, le consentement des électeurs des DROM et des COM est même obligatoire lorsque l'on envisage de les faire changer de statut.

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Ensuite, l'indivisibilité de la souveraineté implique le respect des prérogatives de l'Etat, lequel est principalement assuré grâce au «contrôle administratif» prévu par l'article 72 al. 6 de la Constitution et exercé par les préfets, membres de l'administration déconcentrée, représentants de l'Etat dans les départements français. Ce contrôle administratif prend essentiellement deux formes. Il consiste en premier lieu dans un contrôle de légalité, permettant au préfet de déférer au juge administratif les actes des collectivités territoriales qui doivent lui être transmis pour être exécutoires et qu'il suspecte d'illégalité. Il s'agit en second lieu du contrôle budgétaire, exercé par le préfet en lien avec les Chambres régionales des comptes. En toutes hypothèses, cependant, le contrôle administratif ne saurait être poussé au point d'enfreindre le second principe essentiel concernant l'organisation territoriale de la République française : le principe de libre administration des collectivités territoriales13.

2.2 La libre administration des collectivités territoriales

Ici encore, il paraît intéressant de dire quelques mots de l'histoire (1) du principe de libre administration des collectivités territoriales avant d'en mettre en lumière le contenu actuel (2).

2.2.1 Historique du principe de libre administration des collectivités territoriales

Le principe de libre administration des collectivité territoriales est beaucoup plus récent que le précédent. Comme on vient de le voir, la France est un Etat empreint d'une forte tradition centralisatrice. Or, cette tendance a d'abord et atténuée par des mécanismes de déconcentration (a), avant d'être véritablement remise en cause par la mise en œuvre de la décentralisation (b).

“C'est ce qui ressort d'une décision n° 92-316 DC, du 20 janvier 1993, Prévention de la corruption, dans laquelle le Conseil constitutionnel invalide des dispositions qui (ré)instauraient une tutelle excessive de l'Etat sur les collectivités territoriales, le préfet pouvant à tout moment obtenir la suspension des actes locaux. Aujourd'hui, ce pouvoir de suspension existe, mais il ne peut être exercé qu'à des conditions particulières et passe nécessairement par le juge.

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2.2.1.1 L'absence de mise en œuvre du principe dans le cadre de la déconcentration

L'atténuation de la centralisation est d'abord passée par un développement de la déconcentration, c'est-à-dire par la mise en place de représentants de l'Etat, placés sous l'autorité hiérarchique des ministres, dans l'ensemble des départements français (les préfets sont en effet créés en l'an VIII). Mais le Consulat (1799), l'Empire (1804) et les dernières monarchies (1814 et 1830) n'organisent qu'une déconcentration de façade et ne remettent pas véritablement en cause la tendance très centralisatrice de la France.

L'évolution vers la véritable déconcentration ne s'amorce finalement qu'avec le Second Empire (1852), moment à partir duquel les préfets commencent à agir sans en référer systématiquement aux ministres, puis elle se poursuit sous les lllème et IV4™ Républiques et, surtout, après 1958.

En toutes hypothèses, il ne résulte de cet aménagement de la centralisation aucune véritable dépossession de pouvoir pour l'Etat, puisque les compétences qui sont transférées aux agents déconcentrés le sont au sein d'une même personne morale de Droit public (l'Etat). Les circonscriptions administratives dans lesquelles sont implantés les agents déconcentrés de l'Etat n'ont pas - à la différence des collectivités territoriales - la personnalité morale. Ainsi, selon une célèbre formule d'Odilon Barrot, avec la déconcentration «c'est le même marteau qui frappe, mais on a raccourci le manche».

Les choses sont différentes avec la décentralisation.


2.2.1.2 La mise en œuvre du principe dans le cadre de la décentralisation

La décentralisation consiste en un transfert d’attributions de l'Etat à des institutions juridiquement distinctes de lui (les collectivités territoriales), dotées de la personnalité morale, donc d'une certaine autonomie de gestion. Il en résulte donc un véritable partage des prérogatives de l'Etat, même s'il ne s'agit jamais de partager que le pouvoir administratif et non le pouvoir politique. De fait, la décentralisation renvoie plutôt à une conception libérale et moins autoritaire de l'Etat unitaire, probablement mois égalitaire, mais assurément plus propice au développement de l'administration du proximité.

Ce mode d'organisation territoriale du pouvoir n'était pas absolument inexistant avant la IV4™ République, et même avant la Révolution d'ailleurs (les communes géraient déjà un certain nombre d'affaires qui leur étaient propres). Sous la lllâme République, d'importantes lois de 1871 et 1884, accentuèrent la décentralisation au profit, respectivement, des départements et des communes. Mais ce n'est qu'en 1946 que le principe de libre administration des collectivités territoriales, socle de la décentralisation, fait son entrée dans la Constitution. Il est ensuite repris à l'article 72 de la Constitution d& 1958, et développé par d'importantes lois adoptées au début des années quatre-vingt, formant ce que l'on a appelé I' «Acte I de la décentralisation». Il s'agit notamment de la loi du 2 mars 1982, relative aux droits et libertés des communes, venue réaliser d'importants transferts de compétences de l'Etat au profit des collectivités territoriales et alléger le contrôle administratif auquel elles demeurent soumises (substituant au contrôle de tutelle, a priori et n'excluant pas la vérification d'opportunité, un simple contrôle de légalité, juridictionnel et a posteriori). Après une pause au milieu des années quatre-vingt, le mouvement décentralisateur reprend une certaine vigueur au cours des années quatre-vingt-dix. Différentes lois sont adoptées, dont une loi du 6 février 1992 qui marque la naissance d'une démocratie décentralisée participative, le citoyen commençant à être reconnu comme un acteur de la vie politique de la collectivité. Cette loi accroît, par ailleurs, les droits des élus et en particulier des minorités politiques au sein des conseils municipaux.

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Enfin, est intervenue la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, qui a inscrit à l'article 1er de la Constitution, définissant les principales caractéristiques de la République française, que «son organisation est décentralisée», et ayant substantiellement modifié les articles 72,73 et 74 de la Constitution. Cette loi constitutionnelle est complétée par un certain nombre de lois orga. tiques et ordinaires, notamment la loi du 13 août 2004, relative aux libertés et aux responsabilités locales, l'ensemble étant qualifié d' «Acte il de la décentralisation». Cette réforme poursuit quatre objectifs principaux: renforcer la libre administration des collectivités territoriales (c'est-à-dire accentuer la décentralisation en opérant de nouveaux transferts de compétence, expérimentaux le cas échéant); promouvoir le développement œs régions qui, jusqu'à présent, n'avaient pas d'existence constitutionnelle et étaient toujours restées en retrait dans le cadre de I? décentralisation, alors qu'elles se présentent comme un niveau d'administration particulièrement pertinent de la cadre de l'intégration européenne ; renforcer la démocratie locale, via l'institution de procédures de consultation ou de référendum au sein des collectivités ; et enfin, rénover le statut de l'outre-mer et de la Corse, afin de mieux tenir compte de leurs spécificités, en admettant qu'indivisibilité ne signifie pas nécessairement uniformité.

De fait, à l'heure actuelle, l'organisation territoriale française se présente de la façon suivante : le territoire métropolitain est divisé en communes, en départements et en régions, qui sont les collectivités territoriales de droit commun régies par l'article 72 CF ; les départements et régions d'outremer (DROM : Guyane, Guadeloupe, Martinique, Réunion) sont de surcroît régies par l'article 73 CF; posant un principe d'assimilation législative, tandis que les collectivités d'outre-mer (COM : Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, Mayotte, Saint Martin, Saint Barthélémy et la Polynésie française) ne sont régies que par l'article 74, posant un principe de spécialité législative, et par leurs statuts spécifiques ; la Corse est une collectivité territoriale à statut particulier ; enfin, la Nouvelle-Calédonie - élément de fédéralisme dans la République française - est régie par des dispositions constitutionnelles transitoires spécifiques (art. 76 et 77 CF), dans l'attente de sa sortie définitive du territoire français.

Elise Carpentier


2.2.2 Contenu du principe de libre administration des collectivités territoriales

La libre administration des collectivités territoriales est à la fois un principe d'organisation territoriale du pouvoir et une liberté fondamentale dont le constituant, le Conseil constitutionnel et le juge administratif se sont progressivement efforcés de préciser le contenu. A l'heure actuelle, elle paraît recouvrir cinq séries d'exigences essentielles: l'administration par des conseils élus (a), la représentation des collectivités territoriales au Sénat (b), la reconnaissance d'un minimum de compétences (c), l'autonomie financière (d), et l'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur l'autre

(e).

2.2.2.1 L'administration par des conseils élus

Le principe de l'élection des conseils des collectivités territoriales, inscrit à l'article 72 CF, interdit que les membres des assemblées locales soient nommés par l'Etat ; il doivent impérativement être élus au sein de la collectivité qu'ils ont vocation à représenter. Cette élection présente un double intérêt : d'abord, elle permet aux élus locaux de bénéficier d'une plus grande légitimité démocratique ; ensuite (c'est lié), elle leur permet de bénéficier d'une plus grande autorité14.

Pour que le principe soit effectif, il est nécessaire que les élections locales se déroulent suivant une périodicité raisonnable. Cela a été posé par le Conseil constitutionnel dans une décision du 6 juillet 199415 et l'on peut d'ailleurs penser que c'est un principe qui est inhérent à la démocratie. En pratique, à l'heure actuelle, l'écart le plus grand entre deux convocations du même corps électoral concerne les élections municipales et régionales, dont les conseils sont renouvelés tous les six ans.

Le Conseil constitutionnel a par ailleurs précisé que ces élections locales ont une nature politique16, ce qui n'était pas si évident au départ, puisque les collectivités territoriales sont des institutions administratives et non politiques. Or, cette qualification n'est pas sans conséquences. D'abord, les étrangers en sont en principe exclus (sauf les ressortissant communautaires qui peuvent voter aux élection municipales depuis 1992). Ensuite, les principes d'égalité de suffrage et d'égalité des citoyens devant la loi électorale doivent êtres scrupuleusement respectés, ce qui implique que la définition des circonscriptions électorales s'effectue sur des bases essentiellement démographiques et soit périodiquement révisée17. Enfin, le caractère politique des élections locales interdit en principe l'institution de quotas de représentation d'une partie de la population sur les listes électorales. Le Conseil constitutionnel s'était ainsi opposé à l'institution de quotas par sexe sur les listes municipales18. L'obstacle, n'a pu être surmonté que par une révision de la Constitution (en 1999), ayant inscrit la parité à l'article 3 CF («la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives»).

2.2.2.2 La représentation des collectivités territoriales au Sénat

Cette représentation est prévue à l'article 24 al. 3 de la Constitution. Elle n'est pas nouvelle. Cette fonction du Sénat en tant que représentant des


uCe principe a été étendu par le législateur en 1982 aux organes exécutifs des collectivités territoriales, mais ce n'était pas une exigence constitutionnelle.

“Décision n° 94-341DC, Loi relative à la date du renouvellement des conseillers municipaux.

“Décision n° 82-146 DC, du 18 novembre 1982, Quotas par sexe, GDCC n°...

17Cf. la décision n° 86-208 DC du 2 juillet 1986, Loi relative à l'élection des députés, et autorisant le Gouvernement à délimiter par ordonnance les circonscriptions électorales.

’"Décision de 1982, précitée, Quotas par sexe.

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collectivités, remonte à la llliira République, plus particulièrement à la loi constitutionnelle du 24 février 1875, relative à l'organisation du Sénat. Elle se présente alors comme un compromis historique entre les monarchistes et les républicains, les monarchistes trouvant dans cette seconde chambre, un contre-poids à la poussée des idées démocratiques portées par le suffrage universel masculin, tandis que pour les républicains, cela pouvait être un facteur de « répu blicanisation» de la France rurale (de l'essentiel du territoire autrement dit).

Cette Assemblée n'a jamais été exempte de critiques. Sous la 111*™ République. Gambetta la qualifiait ironiquement de « Grand conseil des communes de France ». En 1946, le Sénat ne figurait pas dans le premier projet de Constitution. Mais ce premier projet ayant été rejeté par référendum, les constituants restaurèrent le Sénat dans le second, qui \it accepté par le peuple. Il est vrai qu'au début de la IV*™ République, une grande partie des sénateurs était élue par les députés ; le Sénat était alors plutôt un doublon de la Chambre des Députés. Mais à partir de 1948, le Sénat est élu par les collectivités, dont il (redevient un véritable représentant.

L'idée est maintenue en 1958 et les résultats du référendum de 1969 ayant conduit à la démission du général de Gaulle de la présidence de la République témoignent bien de l'attachement du peuple français au Sénat, ou au moins au bicamérisme. Sous la V République, les sénateurs sont élus au suffrage universel indirect dans le cadre départemental par des collèges où sont très largement représentés les délégués des petites communes. Du point de vue politique, il est clair que ce mode de désignation n'est pas neutre : la surreprésentation des petites communes fait que le Sénat est toujours majoritairement à droite.

Pour finir sur ce point, il convient de préciser que toutes les catégories de collectivités ne sont pas nécessairement directement représentées au Sénat (a fortiori, chaque collectivité ne peut prétendre à une représentation propre au Sénat). Ce qui importe, c'est qu'elles le soient dans le collège électoral des sénateurs19.

’’’Conseil constitutionnel, décision n' 2000-431DC, du 6 juillet 2000, Loi relative à l'élection des sénateurs.


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2.22.3 La reconnaissance d'un minimum de compétences

Le principe de libre administration des collectivités territoriales exige la reconnaissance d'un minimum de compétences dans le chef des collectivités. Il n'y a ni critères ni listes fixés dans la Constitution, mais la jurisprudence constitutionnelle est venue apporter des précisions. De manière générale, il semDie que le législateur ne puisse soustraire aux collectivités les compétences qui, par nature, leur appartiennent. C'est l'idée que traduit le principe de subsidiarité inscrit à l'article 72 al. 2 de la Constitution, aux termes duquel les collectivités territoriales ont vocation à prendre des décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre â leur échelon. Certaines compétences appartiennent donc en propre et par nature aux collectivités. C'est le cas notamment en matière de gestion des personnels de la fonction publique territoriale ou encore pour déterminer les règles d'organisation de leurs assemblées délibérantes.

2.2.2.4 L’autonomie financière des collectivités territoriales

L'autonomie financière des collectivités territoriales est longtemps restée très relative. D'abord, les collectivités locales ne bénéficient d'aucun pouvoir fiscal propre ; elles ne peuvent décider de créer un impôt (il s'agit là d'un domaine proprement régalien). Ensuite, les bénéfices qu'elles vont pouvoir retirer de certains impôts sont largement dépendants de la volonté du législateur, lequel avait plutôt eu tendance à se montrer avare dans les années ayant précédé la révision constitutionnelle de 2003. Concrètement, cela se traduisait soit par la suppression de certains impôts dont le produit bénéficiait en grande oart aux collectivités territoriales (comme la vignette automobile supprimée en 2002), soit par une réduction des bases auxquelles s'appliquaient les taux des impôts locaux. Ces mesures étaient généralement compensées par l'Etat - qui était obligé au niveau constitutionnel de procéder à cette compensation -mais, de fait, l'Etat était devenu le premier contribuable des collectivités territoriales. La situation n'était pas satisfaisante, et le constituant de 2003 s'est efforcé d'y remédier, afin de garantir l'effectivité du principe de la libre administration des collectivités territoriales.

Elise Carpentier


Le constituant de 2003, souhaitant mieux garantir l'autonomie financière des collectivités, est venu inscrire dans la Constitution trois principes essentiels : les ressources propres des collectivités constituent une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources ; tout transfert de compétence de l'Etat à une collectivité s'accompagne du transfert des ressources que l'Etat y consacrait auparavant ; enfin, toute création ou extension de compétence ayant pour conséquence d'augmenter les charges d'une collectivité s'accompagne de l'attribution de ressources suffisantes pour y faire face.

2.2.2.5 L'interdiction de la tutelle d'une collectivité surl'autre

Le principe de l'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur l'autre a été consacré par le Conseil constitutionnel dans une décision du 20 janvier 19841. Le Conseil constitutionnel s'était alors opposé, sur le fondement de ce principe, à ce qu'un rôle de chef de file soit attribué à la Région en matière d'aménagement du territoire.

Le principe demeure avec la révision constitutionnelle de 2003, mais connaît une possibilité d'atténuation non négligeable. En effet, aux termes de l'article 72 al. 5 CF « Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre. Cependant, lorsque l'exercice d'une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l'une d'entre elles, ou un de leur groupement, à organiser les modalités de leur action commune ». Cette faculté a été utilisée en matière d'aides économiques au profit de la Région, qui fait figure de « chef de file » des aides économiques aux entreprises. Du point de vue de la science administrative, il est intéressant de souligner que cette possibilité est de nature à favoriser une contractualisation des rapports entre les collectivités territoriales.

3 - LA HIÉRARCHIE DES NORMES

L'étude de l'histoire et de l'actualité constitutionnelles françaises en matière d'organisation normative invite à évoquer trois grands problèmes : les rapports entre la loi et le règlement (1), les rapports entre les normes internes et le droit international (2) et, pour finir, les rapports entre normes constitutionnelles (3).

3.1    Les rapports entre la loi et le règlement

La Constitution de 1958 marque une rupture assez importante s'agissant des rapports entre la loi et le règlement. Dès lors, il paraît nécessaire pour bien comprendre la situation sous la V4™ République (b), de commencer par rappeler celle qui prévalait auparavant (a).

3.2    La situation antérieure à 1958

Le pouvoir réglementaire apparaît avec la Constitution du Directoire (1793, an III). A cette époque, il n'a qu'une dimension « exécutrice » et est à l'évidence subordonné à la loi, qui seule constitue «l'expression de la volonté générale» (idée soutenue par J.-J. Rousseau avant d'être reprise à l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789).

Les choses sont un peu différentes dans le cadre des régimes impériaux (1804-1814 et 1852-1870) ou de la monarchie restaurée (1814-1830), le Chef de l'Etat bénéficiant d'une légitimité intrinsèque donnant pratiquement à ses actes le caractère d'actes exprimant la volonté générale.


La loi reprend toutefois sa place de premier plan avec ie retour de la République en 1875 et le soutien doctrinal de R. Carré de Malberg21. Acette époque, il n'existe aucune réserve de compétence au profit du règlement et, en l'absence de contrôle de constitutionnalité, le Parlement a la compétence de sa compétence : il est souverain et la loi, dont la définition est exclusivement organique, est toute-puissante. La France est alors un Etat parfaitement légicentriste. Le règlement (dit alors « cradministration publique ») n'a vocation qu'à venir préciser les modalités d'appiication de la loi. Il est vrai que le Conseil d'Etat admet parfois que le pouvoir réglementaire intervienne à titre « initiai », en l'absence de loi dans le domaine considéré, comme en matière de police administrative par exemple22. Mais cette situation est très exceptionnelle et le principe reste celui de la primauté de la loi dans tous les domaines.

Le problème est qu'après la Première Guerre mondiale, le Parlement commence à se trouver dépassé par son omnipotence. Il entreprend alors de déléguer des pans de plus en plus importants de sa compétence au pouvoir réglementaire, par des lois «de pleins pouvoirs» autorisant le Gouvernement à légiférer à sa place en édictant ce que la pratique a qualifié de «décrets-lois». Le phénomène est accentué par la crise dans les années trente et finit par prendre une ampleur suffisamment considérable pour que le constituant de 1946 tente d'empêcher qu'il se reproduise.

L'article 13 de la Constitution de la IV4™ République prévoit ainsi que « l'Assemblée nationale vote seule la loi. Elle ne peut déléguer ce droit». Mais les mêmes causes produisant les mêmes effets, la dérive parlementariste du régime se traduit par le même dérèglement normatif que celui qui avait affecté la lllèrne République, la Conseil d'Etat ayant même validé la pratique des décrets-lois dans un avis, tout en nuances, du 6 février 1953, dans leauel il estime que si l'article 13 de la Constitution interdit au Parlement de déléguer son pouvoir législatif au Gouvernement, il ne s'oppose pas à ce qu'il décide d'étendre temporairement le pouvoir réglementaire à certaines matières législatives. Et c'est précisément ce qu'avait fait le législateur en adoptant la loi « Marie » du 17 août 1948, opérant une véritable répartition matérielle des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, renouant donc dès les premiers temps de la Constitution de la IV2"0 République avec la pratique des décrets-lois.

Le constituant de 1958 devait au moins tenter de remédier au problème.

3.3 La situation sous la \T" République

La Constitution de 1958, cherchant à éviter les dérives ayant affecté les deux Républiques précédentes, est riche d'innovations concernant les rapports entre la loi et le règlement (1), à l'égard desquels la jurisprudence n'a pas toujours adopté la même attitude (2).

3.3.1 Les innovations de la Constitution de 1958

La Constitution de 1958 innove tout d'abord en assignant au législateur un domaine de compétence (article 34 CF) et en prévoyant que «les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire» (article 37 CF). La loi ne se définit donc plus exclusivement par un critère organique mais également par un critère matériel : elle est l'acte adopté par le Parlement dans le domaine assigné à la loi par la Constitution. Et le législateur n'a plus une compétence de principe, il n'a qu'une compétence d'attribution, ou d'exception ; la compétence de droit commun appartient au pouvoir réglementaire. On comprend sans mal que cette innovation ait pu être présentée comme une véritable révolution juridique.

La Constitution de 1958 innove ensuite en institutionnalisant, pour mieux l'encadrer, la pratique des décrets-lois. L'article 38 de la Constitution prévoit en effet que «le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au

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Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi».

Enfin, le texte constitutionnel de 1958 met en place des mécanismes spécifiques destinés à protéger la réserve réglementaire. Le premier de ces procédés a un caractère préventif. L'article 41 de la Constitution dispose en effet, dans sa rédaction initiale, que «s'il apparaît au cours de la procédure législative qu'une proposition ou un amendement n'est pas du domaine de la loi ou est contraire à une délégation accordée en vertu de l'article 38, le Gouvernement peut opposer l'irrecevabilité». Le second mécanisme a un caractère réparateur. Il est prévu, au second alinéa de l'article 37 de la Constitution que «les textes de forme législative intervenus en ces matières (réglementaires) peuvent être modifiés par décrets pris après avis du Conseil d'Etat. Ceux de ces textes qui interviendraient après l'entrée en vigueur de la présente Constitution ne pourront être modifiés par décret que si le Conseil Constitutionnel a déclaré qu'ils ont un caractère réglementaire en vertu de l'alinéa précédent».

Pour remarquables qu'elles furent, ces nouveautés n'ont, au moins dans un premier temps, pas donné lieu à une jurisprudence aussi innovante que celle à laquelle elles permettaient de s'attendre.

3.3.2 Les vicissitudes de la jurisprudence

La jurisprudence initiale (a) concernant les rapports entre la loi et le règlement s'étant avérée néfaste pour la qualité de la loi, le Conseil constitutionnel s'est récemment efforcé de la corriger (b).

3.3.2.1 La jurisprudence initiale

Ainsi que l'a observé le professeur J. Rivero, lors d'un colloque sur la loi et le règlement organisé à Aix-en-Provence en 1977, «la révolution était possible, la révolution n'a pas eu lieu». La jurisprudence est rapidement venue confirmer la justesse de cette intuition.

23Décision n° 82-143 DC, du 30 juillet 1982, Blocage des prix et revenus, GDCC...

“Une incompétence négative du législateur avait été sanctionnée par le Conseil constitutionnel dès 1967 (décision n° 67-31 DC du 26 janvier 1967, Inamovibilité des magistrats, GDCC n° 14), mais cette jurisprudence ne s'est véritablement développée qu'à partir de la décision n” 81-132 DC du 16 janvier 1982, Nationalisations. Cf. également, par exemple, la décision n° 85-198 DC, du 13 décembre 1985, Loi relative à la communication audiovisuelle.

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En premier lieu, il est rapidement apparu que le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat entendaient faire prévaloir une conception extensive du domaine de la loi, non limité aux matières énumérées l'article 34 de la Constitution et s'étendant à toutes celles où la Constitution fait, d'une manière ou d'une autre, référence à une intervention du législateur (article 66 et 72 de la Constitution par exemple).

En second lieu, le Conseil constitutionnel a retenu des interprétations de la Constitution très favorables à la compétence législative. D'une part, il a considéré qu'une loi qui empiète sur le domaine du règlement n'est pas pour autant contraire à la Constitution ; du moins que cette inconstitutionnalité ne saurait être sanctionnée dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois exercé sur la base de l'article 61 al. 2 de la Constitution puisqu'il existe des mécanismes spécifiques (ceux des articles 37 al. 2 et 41) pour en obtenir la sanction23. D'autre part, le Conseil constitutionnel a développé un jurisprudence sanctionnant l'incompétence négative du législateur, obligeant celui-ci à épuiser toute sa compétence, sans pouvoir s'en défausser au profit du Gouvernement en dehors du mécanisme, strictement réglementé, des ordonnances de l'article 38 de la Constitution24.

Cette jurisprudence, combinée à celle du Conseil d'Etat sanctionnant les empiètements du pouvoir réglementaire sur le domaine de la loi, avait abouti à restaurer la compétence du législateur aussi bien quant à son étendue (du fait de l'absence de sanction de l'incompétence positive du législateur) que quant à sa densité (du fait de la sanction de l'incompétence négative du législateur). Mais cette nouvelle omnipotence du législateur s'est finalement révélée néfaste pour l'ordonnancement juridique français, et plus particulièrement pour la qualité de la loi, dIus encline à réglementer dans les moindres détails tel ou tel élément juridique, qu'à exprimer clairement de grands choix politiques concernant les problèmes juridiques les plus fondamentaux, de plus en plus souvent abandonnés au Gouvernement via ie mécanisme des ordonnances. C'est la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel est en partie revenu sur sa jurisprudence initiale.


3.32.2 La situation actuelle

Après que le Conseil d'Etat a stigmatisé, dans son rapport de 1991, la diminution de la qualité de la loi -observant en substance que «lorsque la loi bavarde, le citoyen ne lui prête qu'une oreille distraite» - le Conseil constitutionnel s'est, depuis dix ans, efforcé de garantir cette qualité. Dans un premier temps, il a dégagé un objectif de valeur constitutionnelle «d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi»25. Puis il est en partie revenu sur sa jurisprudence Btocage des prix et revenus, en censurant les dispositions à caractère réglementaire contenues dans les lois26 II ne s'agit au demeurant que d'un revirement partiel de jurisprudence, car la loi contenant des disDOsitions de caractère réglementaire n'est pas pour autant déclarée inconstitutionnelle, les dispositions en cause sont simplement «déclassées», de sorte que le pouvoir réglementaire peut les modifier librement.

Cette nouvelle jurisprudence s'est accompagnée d'autres mesures en faveur d'une meilleure qualité des lois. D'une part, le Conseil constitutionnel censure désormais les dispositions non normatives

2SDécision n° 99-421DC, du 16 décembre 1999, Codification par ordonnances. “Décision n 2005-512 DC, du 21 avril 2005, Loi sur l'avenir de l'école.

"Décision n 2005-512 DC,du 21 avril 2005, précitée.

“Décision n* 2005-530 DC, du 29 décembre 2005, Loi de finances paur2006.

"Décision n* 2005-532 DC d u 19 Ja nvie r 2006, Loi relative à la lutte contre le terrorisme.


- c'est-à-dire de caractère simplement déclaratoire ou tautologique- contenues dans les lois dispositifs27. D'autre part, il sanctionne les dispositifs législatifs présentant une «complexité excessive»28. Enfin, le Conseil est venu mieux encadrer l'exercice du droit d’amendement du Gouvernement29.

Pour finir, c'est le constituant qui s'est efforcé de relayer cet effort lors de la révision constitutionnelle de 2008. Il a notamment ouvert au Parlement le droit de voter des résolutions (ce qui devrait permettre d'éviter les lois simplement «mémorielles»), donné aux Présidents des Assemblées la oossibilité de soumettre les propositions de loi à l'examen préalable du Conseil d'Etat, ainsi que d'opposer l'irrecevabilité de l'article 41 CF, augmenté le nombre de commissions oariementaires chargées de l'examen des lois et revalorisé leur travail (la discussion des projets de loi se fait désormais à partir du texte élaboré en commission), ou encore imposé le respect d'un délai minimal entre le dépôt d'un texte et sa discussion (afin d'éviter les lois «circonstancielles»). L'avenir dira si ces mesures sont suffisantes.

3.4 Les rapports entre les normes internes et le droit international

La question des rapports entre les nonnes internes et le droit international est longtemps restée sans objet en France, car ce n'est qu'avec la IV** République que fut consacré le passage du dualisme au monisme. De façon radicalement nouvelle, en effet, l'article 26 de la Constitution de 1946 posait rue «les traités régulièrement ratifiés et publiés ont force de loi dans le cas même où ils seraient contraires à des lois françaises, sans qu'il soit besoin pour en assurer l'application d'autres dispositions législatives que celles qui auraient été nécessaires pour assurer leur ratification». Cette conception est reprise par la Constitution de 1958 qui pose que «les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont. dès leur publication une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie».

Elise Carpentier


Pour autant, cette affirmation n'a pas, en elle-même, permis de garantir immédiatement la primauté des engagements internationaux sur les lois (a), et si cette question est aujourd'hui résolue, c'est à présent celle des rapports entre le droit international (plus spécifiquement le droit communautaire) et la Constitution qui se pose (b).

3.4.1 Les rapports entre le droit international et la loi

Bien que la Constitution affirme, en son article 55, la supériorité des engagements internationaux par rapport aux lois, cette position n'a pas toujours été garantie. La difficulté provenait de l'incompétence des organes chargés d'appliquer la loi, et au premier plan des juridictions ordinaires, pour la juger. Les juges ordinaires acceptaient donc de faire prévaloir les traités sur les lois lorsque ceux-là étaient postérieurs à celles-ci, faisant valoir que le traité avait alors abrogé la loi incompatible avec lui, mais refusaient d'écarter les lois contraires aux traités lorsqu'elles leur étaient postérieures3. C'est ce que l'ont appelait, dans la jurisprudence administrative, la théorie de la «loi écran», la loi faisant écran entre l'acte administratif argué d'inconventionnalité et le traité. Cette position n'était pas dénuée de bon sens : les juridictions ordinaires estimaient probablement qu'il revenait au Conseil constitutionnel d'assurer le contrôle de conventionnalité des lois et ainsi de faire respecter la hiérarchies des normes instituée par l'article 55 CF.

Le Conseil constitutionnel s'est toutefois, lorsque l'occasion lui a été donnée de le faire, explicitement refusé à procéder au contrôle de conventionnalité des lois, renvoyant implicitement mais nécessairement cette tâche aux juridictions ordinaires4.

La cour de cassation s'est immédiatement conformée à cette décision, en acceptant d'écarter lois incompatibles avec les engagements internationaux de la France, même antérieurs5. Le Conseil d'Etat a pour sa part mis davantage de temps à obtempérer. Il a été nécessaire que le Conseil constitutionnel, statuant comme juge électoral (c'est à dire comme juge ordinaire, et non comme juge constitutionnel), lui montre l'exemple, pour qu'il finisse par procéder au revirement de jurisprudence attendu6, dont il n'a d'ailleurs pas tardé à faire bénéficier le droit communautaire dérivé : règlements et directives7. En revanche, la primauté sur les lois a été expressément déniée à la coutume internationale et aux principes généraux du droit international8.

Au demeurant, tandis que la Cour de cassation considère depuis peu que le moyen tiré de l'inconventionnalité d'une loi est un moyen d'ordre public9, pouvant être soulevé en tout état de la procédure et devant être soulevé par le juge, le Conseil d'Etat retient toujours la solution inverse10.

3.4.2 Les rapports entre le droit international et la Constitution

La difficulté concernant les rapports entre le droit international et la Constitution procède de la dualité des points de vue en la matière.

Du point de vue international, en effet, le droit international prime nécessairement sur le droit national, y compris sur le droit constitutionnel. C'est une conséquence naturelle du principe «Pacta sunt servanda». Cette primauté fut très tôt affirmée comme «allant de soi» par la Cour Permanente Internationale de Justice, selon laquelle tout Etat


qui a valablement contracté des obligations Internationales est tenu d'apporter à sa législation les modifications nécessaires pour assurer l'exécution des engagements pris3' L'article 27 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités stipule également qu1 «une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d'un traité». Et la Cour de justice des communautés européennes a régulièrement affirmé la prévalence du droit communautaire, originaire comme dérivé, sur le droit interne des Etats membres, y compris sur la Constitution39.

Du point de vue interne, cependant, il est inconcevable qu'une norme qui tire son existence, sa validité, et sa olace dans la hiérarchie des normes, de la Constitution puisse Drimer sur celle-ci. L'article 54 CF interdit d'ailleurs de ratifier un traité dont le Conseil constitutionnel aurait déclaré qu'il est contraire à la Constitution, et il est clair que lorsque l'article 55 du même texte affirme la supériorité des engagements internationaux par rapport aux lois, il ne vise que les lois ordinaires, et non les lois constitutionnelles, sans quoi, d'ailleurs, l'article 54 n'aurait plus de sens. Cette suprématie de la Constitution sur le droit international a régulièrement été reconnue par l'ensemble des juridictions françaises, le Conseil constitutionnel ayant clairement souligné, lors de son contrôle de constitutionnalité du Traité établissant une Constitution pour l'Europe que cette dénomination était «sans incidence sur l'existence de la Constitution française et sa place au sommet de l'ordre urid .ue interne»40. Et elle a même été récemment confirmée par les pouvoirs publics, ayant fait de la nouvelle question préjudicielle de constitutionnalité une question prioritaire de constitutionnalité (c'est-à-dire que les juges sont, le cas échant, tenus d'examiner le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de la loi avant celui tiré de son inconventionnalité).

Néanmoins, cette position de principe a dû être tempérée s'agissant du droit communautaire, à l'égard duquel la Constitution ne s'impose plus aujourd'hui systématiquement, comme en témoignent les jurisprudences du Conseil constitutionnel et du Conseil d'Etat en matière de contrôle des mesures de transpor tion des directives communautaires.

Le Conseil constitutionnel a en effet déduit de l'article 88 CF, en vertu auquel « La République participe aux Communautés européennes et à TUnion européenne, constituées d'Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui lies ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences », une obligation constitutionnelle de transposition des directives en conséquence de laquelle il se refuse désormais à contrôler la constitutionnalité des lois de transposition des directives, sauf s'il apparaît qu'elles méconnaissent une règle ou un Drincipe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France41. Au demeurant, pour que la directive fiasse effectivement écran entre la loi et la Constitution, encore faut-il que la loi transpose des dispositions précises et inconditionnelles, faute de quoi le contrôle de constitutionnalité retrouve à s'appliquer, et que la loi ne méconnaisse pas la directive, auquel cas elle serait contraire à l'article 88 CF42.

A son tour, le Conseil d'Etat s'est assez largement inspiré de cette jurisprudence (ainsi que des jurisprudences Solange de la Courconstitutionnelle allemande, Société Fragd de la Cour constitutionnelle italienne et Bosphorus de la Cour européenne des droits de l'homme) lorsqu'il tut appelé à se prononcer sur la conformité à la Constitution d'un décret de transposition d'une directive. En pareille situation, en effet, le juge administratif commence par rechercher si le principe constitutionnel invoqué dispose d'un équivalent dans l'ordre juridique communautaire.

Elise Carpentier

"CPU, 21 février 1925, Echange de populations turques et grecques.

“CJCE, 1963, Van Gend en Loos ; CJCE : 15 Juillet 1964, Costa c. ENEL; CJCE, 1970, IH et ÜCE, 9 ma rs 1978, Slmmenthal.

"Décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l'Europe (considérant 10). Cf. également CE, 30 octobre 1998, Sarran, Levacher et autres, rec. 369 et Cour de cassation, 2 juin 2000, Pauline Fraisse.

“Décisions n° 2004-575 du 21 juin 2004, loi pour la confiance dans l'économie numérique, GDCC et n’2tK)6-540DC du 27 juillet 2006, Loi relative au droit d'auteur.

"Cf. parexemple CC, novembre 2006, Loi relative au secteur de l'énergie.

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Dans l'affirmative, il procède à une translation du moyen vers le droit communautaire et le traite comme si c'était au regard du droit communautaire que le décret était critiqué. Il écarte donc le moyen si le grief ne lui semble pas fondé et pose une question préjudicielle à la Cour de justice des communautés européennes dans le cas contraire. Dans la négative (c'est-à-dire, en somme, dans le cas où le principe constitutionnel invoqué ressortit à l'identité constitutionnelle de la France), le Conseil d'Etat accepte de procéder au contrôle de constitutionnalité, quitte à ce que l'inconstitutio-nnalité du décret signifie, implicite-ment mais nécessairement, l'inconstitutionnalité de la directive.

De façon générale, il est clair que ces jurisprudences concordantes des juges français marquent un certain recul de la Constitution par rapport au droit communautaire, et il n'est pas douteux que ce constat puisse être étendu au-delà de l'Hexagone. L'image de la pyramide des normes tend en effet aujourd'hui, dans les Etats membre de l'Union européenne, à céder la place à celle du réseau de normes11. On peut sans doute le regretter, mais on voit mal comment, à l'heure actuelle, il pourrait en aller autrement.

3.5 Les rapports entre normes constitutionnelles

La problématique des rapports entre les normes constitutionnelles (nationales évidemment) se pose de deux façons. D'une part, et dans l'absolu, se pose la question de savoir s'il existe, ou non, une supra-constitutionnalité en France, c'est-à-dire s'il existe des dispositions hors d'atteinte du pouvoir constituant dérivé (a). D'autre part, dans une perspective plus relative (et quand bien même toutes les dispositions constitutionnelles françaises seraient révisables), la question peut se poser de savoir s'il existe, ou non, une hiérarchie entre les normes constitutionnelles (b).

3.5.1 Existe-t-il une supra-constitutionnalité en France?

La supra-constitutionnalité (interne) désigne une situation dans laquelle la Constitution contient, comme c'est par exemple le cas en Allemagne, un certain nombre de dispositions intangibles. Il en résulte une limitation du pouvoir de révision constitutionnelle. La question de l'existence, ou non, d'une supra-constitutionnalité en France a donné lieu à de très intéressantes controverses, d'abord alimentées puis closes par le Conseil constitutionnel.

La décision ayant commencé à nourrir le débat était la deuxième décision rendue sur le Traité de Maastricht12, dont la rédaction était ambiguë. En effet, le Conseil constitutionnel y affirmait que «le pouvoir constituant est souverain», mais seulement «sous réserve, d'une part, des limitations touchant aux périodes au cours desquelles une révision de la Constitution ne peut pas être engagée ou poursuivie, qui résultent des articles 7, 16 et 89, alinéa 4, du texte constitutionnel et, d'autre part, du respect des prescriptions du cinquième alinéa de l'article 89 en vertu desquelles "la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision"». Certains ont alors développé l'idée que le pouvoir constituant ne serait en réalité pas souverain, qu'il serait tenu de respecter certaines règles de valeur supra-constitutionnelle, et que le Conseil constitutionnel serait, le cas échéant, compétent pour garantir le respect de ces règles en s'érigeant en juge des révisions constitutionnelles.

Cette thèse a cependant été largement contestée, notamment par ceux qui ont toujours considéré que la légitimité du juge constitutionnel tient à ce qu'il n'a pas le dernier mot ; à ce qu'il ne joue qu'un rôle d' «aiguilleur» (Favoreu), c'est-à-dire que s'il peut censurer le législateur, celui-ci peut, dans une sorte de «lit de justice», à la condition de paraître en majesté comme constituant, briser ses décisions (Vedel). En outre, le doyen Vedel avait bien montré que l'obstacle de la supra-constitutionnalité pouvait


aisément être surmonté en procédant à une «double révision» de la Constitution (d'abord de l'article 89, puis de tout ce que l'on veut, y compris la forme républicaine du Gouvernement).

Le Conseil constitutionnel a en quelque sorte fini par lui donner raison, en déclinant sa compétence pour connaître des lois de révision constitutionnelle13. Or dès lors qu'aucune autorité n'est compétente pour assurer la sanction du non respect des règles censées limiter le pouvoir constituant, force est de reconnaître que celui-ci est en réalité parfaitement souverain.

3.5.2 Existe-t-il une hiérarchie entre les normes constitutionnelles »1 France ?

La problématique de l'existence d'une hiérarchie entre les normes constitutionnelles telle que nous l’entendons ici se distingue de la précédente, dans la mesure où il s'agit simplement de s'interroger sur le point de savoir si certaines normes n'ont pas un poids supérieur aux autres dans les opérations de conciliation auxquelles doit parfois se livrer le juge constitutionnel. Cette question n'est pas sans lien, en France, avec la richesse et la complexité des dispositions substantielles composant le bloc de constitutionnalité. Ainsi qu'on aura l'occasion de l'expliquer (infra), en effet, les droits et libertés constitutionnellement protégés en France ne sont, pour l'essentiel, pas inscrits dans le texte constitutionnel de 1956, dont le contenu est essentiellement institutionnel. Ils sont consacrés par d'autres textes, auxquels renvoie le Préambule de la Constitution de 1958 et auxquels le Conseil constitutionnel a en conséquence reconnu pleine valeur constitutionnelle : la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le Préambule de la Constitution de 1946 et, depuis 2005, la Charte constitutionnelle de l'environnement dite «de 2004».

De fait, c'est lors des débats relatifs aux lois de nationalisation adoptées au début des années quatre-vingt que la question d'une éventuelle hiérarchie entre les nonnes composant le bloc de constitutionnalité s'est pour la première fois frontalement posée au Conseil constitutionnel. Les auteurs de la saisine soutenaient que le droit de propriété protégé par la Déclaration de 1789 avait nécessairement plus de valeur que le principe de nationalisation posé par le 9ère alinéa du Préambule de 1946 (aux termes duquel «Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité»). Il invoquaient notamment l'antériorité du texte de 1789 et la supériorité naturelle des droits de la première génération sur les autres. Le Conseil constitutionnel n'a toutefois pas fait droit à l'argumentation des requérants, signifiant ainsi que l'ensemble des normes composant le bloc de constitutionnalité ont la même valeur et doivent donc être conciliées de la façon la plus équilibrée, sans que les unes puissent naturellement l'emporter sur les autres.

Telle est à l'heure actuelle encore la présentation généralement retenue de la problématique exposée, mais il faut dire que la question n'a en vérité pas disparu de tous les esprits, et reprend une certaine acuité à l'heure actuelle. Différents éléments conduisent en effet à imaginer que certaines normes constitutionnelles pourraient avoir un poids supérieur aux autres dans la balance de la justice. On songe notamment au principe de dignité des personnes humaines (consacré par le Conseil constitutionnel en 1994), qui ne semble pouvoir tolérer de limitation, donc de conciliation. On pense également aux règles inhérentes à l'identité constitutionnelle française, qui seules s'imposent aujourd'hui aux mesures de transposition des directives communautaires, ou encore au droit au recours, dont le caractère de garantie de l'ensemble des droits pourrait justifier que lui soit reconnue une certaine primauté sur d'autres exigences constitutionnelles.

Enfin, force est de constater que tous les droits et libertés ne sont pas pareillement invocables devant les juges ordinaires, ce sur quoi on reviendra à l'occasion de l'études des problématiques «modernes» du droit constitutionnel.

Elise Carpentier


4 - LES PROBLÉMATIQUES « MODERNES » DU DROIT CONSTITUTIONNEL

On peut identifier deux problématiques «modernes» du droit constitutionnel, au sens où elles ne sont véritablement devenues incontournables qu'au cours du XXème siècle, cette concomitance n'étant d'ailleurs pas un hasard : il s'agit des droits et libertés fondamentaux (A) et de la justice constitutionnelle (B).

4.1    Les droits et libertés fondamentaux

Si les droits et libertés n'ont acquis une place incontournable au sein du droit constitutionnel qu'au cours du siècle dernier - l'émergence de la justice constitutionnelle n'y étant probablement pas étrangère -, force est de reconnaître que la France, «pays des droits de l'homme», a écrit de nombreuses déclarations de droits depuis 1789 (1 ), et c'est précisément cette histoire qui fait toute la richesse et la complexité de la situation des droits et libertés fondamentaux sous la V4™ République (2).

4.2    Les droits et libertés fondamentaux en France de 1789 à 1958

La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) du 26 août 1789 est l'acte officiel de naissance des libertés publiques (a). Elle fut souvent reprise par les Constitutions françaises postérieures, lesquelles ont au demeurant parfois intégré d'importantes innovations (b).

4.2.1 La DDHC de 1789

Lorsque les députés du tiers-état s'étant proclamés Assemblée nationale rédigent la DDHC, leur ambition n'est autre que de rappeler les principes qui doivent former la base de toute espèce de société, à commencer par le principe de souveraineté nationale, particulièrement cher à Sieyès.

Il est vrai que sa rédaction fut assez conflictuelle et le texte définitif fait figure de compromis. Le texte avait donc au départ vocation à être complété ou refondu, mais son retentissement exceptionnel a été quasi immédiat : dès 1791, les députés de l'Assemblée nationale constatent que la déclaration a acquis, aux yeux de l'opinion publique, un tel caractère sacré qu'il n'est plus possible de la modifier. Ce succès, la Déclaration le doit probablement à la diversité de ses sources, aussi bien religieuses (essentiellement chrétiennes), que philosophiques (avec une influence particulière de l'école moderne du droit naturel à laquelle se rattachent les Lumières) ou juridiques (l'Angleterre et les Etats-Unis s'étant déjà dotés de déclarations de droits).

Malgré tout, le texte est bref : il se compose de dix-sept articles précédés d'un Préambule, dont la sobre éloquence coiffe avantageusement la «sécheresse catéchistique» de ceux-ci. Mais cette sécheresse n'est qu'apparente car le texte est en réalité d'une grande richesse. Il comprend en effet trois sortes de dispositions. En premier lieu, la DDHC consacre des droits de l'homme. Ainsi déclare-t-elle que les hommes naissent libres et égaux en droits (art. 1) et proclame comme droits naturels et imprescriptibles de l'homme la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression (art. 2). La première est ensuite déclinée sous différentes formes dans le reste du texte : la liberté d'opinion et liberté religieuse figurent à l'article 10, tandis que l'article 11 consacre la liberté d'expression et la liberté de la presse. En deuxième lieu, la DDHC contient des droits du citoyen, tel celui de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à la formation de la loi, et l'égal accès aux emplois publics (art. 6), le droit de voter l'impôt (art. 14), ou encore le droit de demander des comptes aux agents publics (art. 15). En troisième lieu, enfin, la Déclaration de 1789 contient des principes d'organisation politique, le premier d'entre eux étant évidemment le principe de séparation des pouvoirs (art. 16). De manière générale, il s'agit d'une déclaration de droits de la première génération, autrement dit de droits-libertés, individualistes, appelant essentiellement une abstention de l'Etat.

4.2.2 Les Constitutions postérieures

On peut ici distinguer, à l'instar du professeur Lebreton, entre quatre grandes phases : le premier sommeil des libertés entre 1792 et 1848 (1) ; le bref réveil des libertés en 1848 (2) ; le second sommeil des libertés en 1852 (3) ; puis la consécration véritable des libertés à partir de 1870 (4).


4.2.2.1 Le premier sommeil des libertés (17921848)

La DDHC est placée en tête de la Constitution de 1791, qui reconnaît également un certain nombre de libertés collectives (liberté de réunion, liberté de culte) et offre une première expérience de suffrage universel (masculin). Mais à partir de 1792 et jusqu'en 1870, l'instabilité institutionnelle est trop importante pour bâtir une protection effective des droits et libertés. De fait, si les Constitutions révolutionnaires, napoléoniennes et les Chartes qui se succèdent reprennent souvent les principes de 1789, leurs serments de fidélité à la Déclaration sont rarement respectés en pratique. Pour autant, certaines spécificités méritent d'être soulignées.

Ainsi, la Constitution montagnarde de 1793 (an I) est précédée d'une Déclaration reprenant certains principes de 1789, mais traduisant dans le même temps une forte inspiration rousseauiste : elle substitue la souveraineté populaire à ia souveraineté nationale et met en place des mécanismes de démocratie directe, relève l'égalité au même rang que la liberté et, à l'initiative de RobesDierre, oblige la société à assurer «la subsistance aux citoyens malheureux» (art. 21) et à «mettre l'instruction à la portée de tous les citoyens» (art. 22). On le voit, ce sont bien les germes de véritables droits-créances que recèle la déclaration de 1793.

Reste qu'ainsi qu'il a été signalé, elle ne fut pas appliquée, et la Constitution de 1795 (an III Directoire) est marquée par un retour à l'individualisme de 1789 : les droits-créances de 1793 comme les droits collectifs de 1791 sont supprimés. Cette nouvelle Constitution se caractérise également par l'énumération, non seulement de droits, mais également de devoirs, lesquels se présentent comme la contrepartie des premiers.

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La Constitution de l'an VIII reste, comme les précédentes, fidèle aux principes de 1789, mais n'est précédée d'aucune déclaration propre. Celle de Tan X est encore moins prolixe. Etrangement, celle de l'an XII est un peu moins décevante, consacrant davantage de droits et confiant au Sénat le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois (cf. infra). Mais dans la réalité, Bonaparte ne s’embarrassa guère des principes de 1789. La plupart des libertés sont bafouées, malgré quelques grandes réalisations, comme le code d'instruction criminelle. Evidemment, ce mépris n'est plus possible lors de son retour de l'île d'Elbe, c'est pourquoi l'Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire (1815) accorde une place de choix aux libertés publiques, le titre 6 reprenant bon nombre des principes de 1789 et 1791. Mais en vérité, en dehors de la liberté de la presse, aucune liberté ne connaît de véritable épanouissement durant les Cent-jours.

La Charte de 1814, malgré d'évidentes références à l'ancien régime, reprend à son tour à peu près les principes de 1789 et 1791. Au demeurant, alors qu'elle donne lieu à une pratique relativement modérée de la part de Louis XVIII, c'est une politique beaucoup plus libertidde qui est menée par son frère et successeur Charles X. Tous les acquis de 1789, et même l'égalité inscrite dans le code civil, sont remis en cause. Cette attitude conduira les français à se révolter (Trois glorieuses, 1830) et, en conséquence, le Roi à abdiquer.

Tirant les leçons de l'expérience, la Charte de 1830 s'efforce de corriger 'es défauts de celle de 1814 et d'empêcher les dérives qu'elle a autorisées. En particulier, l'article 7 garantit la liberté de la presse et précise que «la censure ne pourra jamais être rétablie». Mais ces libertés seront rapidement bafouées : une loi de 1835 rétablit la censure, le droit de vote est refusé aux ouvriers (classe émergente à cette époque), leur liberté d'aller et venir est également limitée, et les droits sociaux tardent à être reconnus (ce n'est qu'en 1841 que la loi limite à huit heures la journée de travail des enfants de moins de 12 ans...). Ces négligences coûteront cher à Louis-Philippe, la réforme électorale ayant été au cœur de la campagne des banquets qui a emporté la monarchie de juillet en 1848. Cependant, il importe de souligner que ce régime a été le premier depuis 1792, à respecter à peu près le droit à la sûreté.

Elise Carpentier


42.2.2. Le réveil des libertés (1848-1852)

La Constitution de 1848 renoue avec les principes de 1789 et 1791 beaucoup plus clairement que ne le firent les Constitutions napoléoniennes et les Chartes. La souveraineté nationale est expressément rétablie (art. 1 et 18) et la séparation des pouvoirs présentée comme «la première condition d'un Gouvernement libre» (art. 19). Elle s'inscrit également dans la théorie moderne du droit naturel, posant en préambule que «La République française... reconnaît des droits et des devoirs antérieurs et supérieurs aux lois positives». Enfin, le chapitre 2 de la Constitution, composé de 16 articles, constitue une sorte de déclaration des droits qui reprend tous les grands acquis de 1789 et 1791, sans aucune exception.

Par ailleurs, il est remarquable que la Constitution de 1848 se réclame aussi de l'héritage de la Convention et de la Constitution de 1793 : le suffrage universel (masculin) et l'interdiction de l'esclavage sont consacrés ; les droits à la solidarité et à l'instruction sont également réaffirmés. Cette dimension sociale de la Constitution se reflète très bien dans la devise de la lleme République, où la fraternité fait irruption aux côtés de la liberté et de l'égalité. Elle est symptomatique de ce qui fut «l'esprit de 1848» : une soif de solidarité et un irrépressible désir de voir enfin respectée la dignité des hommes, de tous les hommes, fussent-ils ouvriers. Naturellement, l'individualisme est en recul sensible. Le but de l'Etat n'est plus la «conservation des droits de l'Homme», mais «d'assurer une répartition de plus en plus équitable des charges et des avantages de la société...». Les droits collectifs progressent, avec pour la première fois reconnue la liberté d'association, dont l'intérêt pour les ouvriers n'est pas à démontrer. Enfin, comment ne pas mentionner l'article 13 de la Constitution de 1848, proclamant «l'égalité des rapports entre le patron et l'ouvrier», première forme de discrimination positive inscrite dans une

Constitution française.

Au demeurant, force est de reconnaître que toutes ces libertés n'ont guère pu s'épanouir plus d'un an, avant que l'Assemblée, dominée par la bourgeoisie, ne vienne rogner les libertés les plus encombrantes : la liberté d'association est supprimée en 1849 ; la liberté de la presse sérieusement diminuée en 1850, année où, surtout, le suffrage universel est aboli (afin d'écarter les ouvriers de plus en plus nombreux des urnes). La voie est alors ouverte au coup d'état du président de la République Louis Napoléon Bonaparte, qui aura beau jeu de se poser en démocrate en rétablissant le suffrage universel. Il aura lieu le 2 décembre 1851 et Louis Napoléon sera peu de temps plus tard plébiscité par la «vile multitude» (formule employée par Adolphe Thiers pour désigner les ouvriers).

La Seconde République se solde donc par un échec cuisant, mais cela ne saurait occulter l'exemplarité de ses débuts. Comme l'avait observé le poète et homme politique Lamartine en 1848, «Quelque chose qu'il arrive, il sera beau dans l'Histoire d'avoir tenté la République. Ce sera un rêve, si vous voulez, mais cela aura été un beau rêve pour la France et pour le genre humain !».

4.2.2.3 Le second sommeil des libertés (18521870)

Le texte qui institue le second Empire est en apparence plutôt favorable aux libertés publiques. Dès son article 1er, la Constitution de 1852 «reconnaît, confirme et garantit les grands principes proclamés en 1789, et qui sont la base du droit public des Français». En outre, suivant le modèle du Ier Empire, un Sénat est spécialement créé pour devenir «le gardien du pacte fondamental et des libertés publiques» (art. 25). Ace titre, il peut s'opposer à la promulgation des lois contraires «à la Constitution, à la religion, à la morale, à la liberté des cultes, à la liberté individuelle, à l'égalité des citoyens devant la loi, à l'inviolabilité de la propriété» (art. 26).

Mais ces principes sont manifestement en décalage avec l'esprit général de la Constitution, qui consiste essentiellement à donner un maximum de pouvoirs à Napoléon III. De fait, le Sénat est totalement dévoué à la cause de l'Empereur, qui ne se prive pas de maltraiter les libertés, à commencer par la liberté d'enseignement, la liberté d'association et la liberté de la presse, qui avaient connu leur heure de gloire sous le régime Drécédent. Les libertés individuelles ne sont pas mieux protégées.


Toutefois, à partir de 1860, le régime s'adoucit et s'ouvre alors, selon la formule consacrée par les historiens, la phase de «l'Empire libéral». Mais les concessions faites par l'autoritarisme restent faibles: les libertés nouvellement reconnues, comme la liberté de réunion et la liberté de la presse, restent sous l'étroite surveillance du pouvoir En fait, le second Empire n’est jamais vraiment devenu libéral et si la défaite de Sedan qui a emporté l'Empire en 1870 fut regrettable à bien des égards, elle fut au moins porteuse d'espoir en matière de droits et libertés.

4.2.2.4. La consécration véritable des libertés (1870-1958)

La République est proclamée le 4 septembre 1870, deux jours après la défaite de Sedan. S'ouvre alors néanmoins une période de lutte entre républicains et monarchistes, dont le sort sera déterminant pour le traitement des droits et libertés. Or, les lois constitutionnelles de 1875, œuvre des royalistes, sont frappées du sceau de l'ambiguïté : elles instaurent la République mais sont totalement silencieuses en matière de libertés publiques, dont le sort est ainsi laissé aux évolutions à venir du régime.

Par chance, la République l'emporte rapidement et en théorie au moins définitivement, puisqu'une révision constitutionnelle de 1884 vient interdire de porter atteinte à la forme républicaine du gouvernement. Cet enracinement de la République favorise aussitôt l'éclosion des libertés publiques. Différentes lois viennent consacrer la liberté de réunion, la liberté de la presse, la liberté syndicale ou encore la liberté d'association. Parallèlement, le Conseil d'Etat gagne en indépendance et commence à se présenter comme un protecteur des libertés face à l'administration.

Certes, quelques libertés, comme la liberté religieuse ou le droit de grève, restent à l'écart de cette vague libérale, mais le bilan de la période 1875-1914 n'en demeure pas moins très positif pour les libertés. Et si la Première Guerre mondiale conduit inévitablement à restreindre certaines libertés, le retour à la paix marque la reprise des aspirations libérales de la illème République.

Progressivement cependant, certaines tentations extrémistes commencent à apparaître. Le Parti communiste est créé en 1920 et les ligues d'extrême droite se multiplient. Les libertés publiques s'effritent. Une loi de 1936 vient réduire la liberté d'association ; divers décrets-lois de 1939 réinstaurent la censure à l'égard de la presse et restreignent l'ensemble des libertés publiques. Et l'Assemblée nationale finit par saborder la lll*™ République en adoptant la loi constitutionnelle du

10 juillet 94G. qui donne au Maréchal Pétain «tout pouvoir» à l'effet de promulguer une nouvelle Constitution.

Ainsi naît le régime de Vichy, autoritaire et antilibéral, dans lequel l'individu est placé au service exclusif de la collectivité, comme le traduit bien la devise «Travail, Famille, Patrie», qui vient remplacer la devise Républicaine «Liberté, Egalité, Fraternité». Et si le passéisme et l'attachement aux valeurs chrétiennes du maréchal Pétain le distinguent du nazisme, le numéro deux du régime, Pierre Laval, s'en inspire beaucoup plus et n'hésite pas à pousser le maréchal à l'adoption de lois racistes. Sont parailleurs supprimées la liberté de la presse, la liberté du commerce et de l'industrie, de droit à la sûreté, la liberté d'association, le droit de grève, la liberté syndicale, etc... Sans même parler du droit à l'égalité indépendamment des origines, des convictions religieuses ou politiques, ou de l'orientation sexuelle... En bref, la parenthèse de Vichy n'est autre que le paradigme du régime liDerticide.

Elise Carpentier

Heureusement, la libération marque le retour à la République et des libertés publiques. Une ordonnance du 9 août 1944 balaie d'un coup l'ensemble des mesures liberticides édictées par le régime de Vichy. Bien que certaines mesures restrictives de liberté soiennt transitoirement prévues afin de maintenir l'ordre en cette période troublée, l'élection d'une Assemblée constituante en octobre 1945 ferme définitivement la parenthèse de la libération. Le premier texte proposé par cette Assemblée était précédé d'un remarquable projet de déclaration, proclamant son attachement aux principes de 1789 et de 1848 et consacrant de véritables droits-créances en matière économique et sociale. Mais la limitation ostensible de certains droits, comme le droit de propriété, et l'option pour un régime d'Assemblée unique ont conduit au rejet du texte par le peuple en mai 1946. Une seconde Assemblée constituante est alors élue. Elle revient au régime parlementaire bicaméral et se montre moins ambitieuse en matière de droits et libertés. La Constitution est simplement précédée d'un Préambule, qui reconnaît trois catégories de droits : les droits et libertés consacrés parla Déclaration de


1789, des principes politiques, économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps (tels le droit de grève, le droit à l'emploi, le droit à l'instruction, le droit à la solidarité nationale, le droit à la santé, etc...) et, enfin, des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, dont l'appellation est, en l'absence de précisions supplémentaires, plus élégante qu'éclairante. Quoi qu'il en soit, le Préambule de 1946 est incontestablement un texte d'une grande richesse, dont le caractère un peu désordonné est largement compensé par la sobriété de style et le souffle messianique qui paraît l'animer.

En pratique, la IV4™ République s'est montrée globalement assez fidèle à l'esprit du Préambule : les libertés publiques consacrées sous la lllème République sont rétablies et certaines, telle la liberté syndicale, sont même renforcées. Cependant, les choses changent à partir de 1954, lorsque s'ouvre la crise algérienne. Divers régimes d'exception sont alors imaginés, dont le plus célèbre est sans doute «l'état d'urgence» créé par la loi du 3 avril 1955. Mais celui-ci s'avère rapidement insuffisant, c'est pourquoi une loi du 16 mars 1956 va encore plus loin en donnant au gouvernement tous pouvoirs afin de rétablir l'ordre en Algérie. En vain... Internements administratifs, torture et exécutions sommaires se multiplient sans permettre le rétablissement de l'ordre. La IV*me République y perd son honneur puis la vie. C'est en 1958 avec le retour du général de Gaulle que la crise commence à trouver une voie de résolution.

“Décision n° 71-44 DC, du 16 juillet 1971, Liberté d'association, GDCC...

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4.3 Les droits et libertés fondamentaux en France depuis 1958

Concernant les droits et libertés fondamentaux sous la V4™ République, deux questions méritent d'être abordées : celle de leur consistance (a) et celle de leur protection (b).

4.3.1 La consistance des droits et libertés fondamentaux

La Constitution de 1958 ne comporte pour ainsi dire que des dispositions institutionnelles et normatives, à l'exclusion de dispositions substantielles (cf. cependant, en particulier, l'article 66 consacrant la liberté individuelle). Pour autant, les articles sont précédés d'un Préambule aux termes duquel «le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le Préambule de la Constitution de 1946». Or, alors même que les rédacteurs de la Constitution avaient semblé vouloir exclure cette hypothèse, le Conseil constitutionnel est venu reconnaître la valeur constitutionnelle les textes auxquels renvoie le Préambule de la Constitution46.

Le «bloc français de constitutionnalité» est d'autant plus riche que le constituant est venu ajouter, en 2005, à l'énumération des textes de 1789 et 1946 dans le Préambule de la Constitution, une Charte constitutionnelle de l'environnement (dite «de 2004»), consacrant de nombreux droits et principes de portée plus ou moins énigmatiques à l'heure actuelle, tels le droit de vivre dans un environnement sain (art. 1er), le principe de prévention (art. 3), le principe de précaution (art. 5), celui du développement durable (art. 6), ou encore les droits à l'information et à la participation (art. 7).


De fait, la Constitution de la V*™ République peut incontestablement être qualifiée de Constitution moderne, consacrant aussi bien des droits de la 1ère, de la 2*“ et même de la 3ème génération, les premiers donnant de surcroît lieu à une lecture actualisée des autorités d'application.

La question s'est récemment posée de savoir s'il ne serait pas nécessaire de modifier une nouvelle fois le Préambule de la Constitution, en y inscrivant des principes de discrimination positive en faveur des femmes (hors sphère politique) et des minorités (pour favoriser l'intégration des populations issues de l'immigration), le principe de dignité des personnes humaines afin de relever les défis de la bioéthique, éventuellement les principes de protection de la vie privée et des données personnelles, celui du pluralisme des courants d'expression et des médias, ou encore l'ancrage européen de la République. Mais le comité d'experts présidé par Mme Simone Veil a finalement rendu un rapport assez défavorable à cette éventualité - ayant d'ailleurs perdu une part de son objet avec la révision de 2008 qui a consacré la parité socio-professionnelle et le pluralisme La seule modification proposée est l'inscription dans le Préambule de la Constitution du droit à l'égale dignité. Cette innovation aurait sans doute une portée symbolique non négligeable, mais il n'en résulterait pas nécessairement une amélioration de la protector de la dignité des personnes en France, le Conseil constitutionnel ayant déjà déduit du Préambule de 1946 la valeur constitutionnelle du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation14.

4.3.2 La protection des droits et libertés fondamentaux

La protection des droits et libertés fondamentaux en France est assurée, suivant des procédés qui ne cessent de se perfectionner non seulement par des autorités juridictionnelles (2), mais également par des institutions non juridictionnelles (1).

4.3.2.1 La protection par les institutions non juridictionnelles

Les premières autorités non (formellement au moins) juridictionnelles aptesà protéger lesdroiteet libertés des personnes sont les institutions administratives indépendantes (AAI)

Les AAI sont une création relativement récente, mais l'idée dont elles procèdent, en elle-même, est assez ancienne. On l'aperçoit au début du XIXe siècle dans certains écrits de Benjamin Constant, qui estimait que l'administration ne devait pas toujours être totalement dépendante du pouvoir exécutif. Cette idée était également présente chez Michel Debré (l'un des fondateurs ûe la V4™ République) mais à cette époque, la conception traditionnelle des rapports entre l'administration et le pouvoir exécutif - qui remonte à John Locke et Montesquieu - est encore trop présente dans les mentalités françaises pour que ces institutions voient le jour. Finalement, bien qu'il en ait sans doute existé en pratique avant cela, la première AAI à avoir été qualifiée en tant que telle par le législateur est la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) créée en 1978.

Acette époque, la création des AAI, partois inspirée d'institutions étrangères («Agences» anglo-saxonnes notamment), est essentiellement destinée à garantir l'effectivité des libertés publiques dans certains domaines sensibles (secteur des télécommunications, par exemple, ou de la gestion des données personnelles concernant les individus) : ces institutions sont la garantie que les décisions et contrôles de la puissance publique en ces domaines émanent d'autorités indépendantes, non politisées, et obéissent à un minimum de transparence. En 1984, le Conseil constitutionnel a d'ailleurs considéré que la désignation d'une autorité administrative indépendante du Gouvernement pour exercer une attribution aussi importante au regard de la liberté de communication que celle d'autoriser l'exploitation du service radio-télévision mis à la disposition du public sur un réseau câblé constitue une garantie fondamentale pour l'exercice d'une liberté publique relevant, à ce titre, de la compétence exclusive du législateur15.

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Depuis lors, les AAI spécialisées dans la protection des droits et libertés se sont multipliées dans les domaines les plus variés. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a succédé en 1989 à la HACA, un Défenseur des enfants et une Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) ont été institués en 2000, une Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) a vu le jour en 2005, une loi de 2007 a créé un contrôleur général des lieux de privation de liberté, etc...

Parmi ces AAI, certaines sont d'ailleurs spécialement chargées de recevoir des réclamations des administrés. Tel est le cas de la CNIL, de la HALDE, ou encore du médiateur de la République, créé dès 1973 suivant le modèle de l'Ombudsman suédois. Cette institution offre aux victimes de la «maladministration» un interlocuteur individualisé, indépendant et influent, quand bien même il ne disposerait d'aucun pouvoir d'annulation, d'injonction ou de sanction à l'égard de l'administration. Il peut ainsi intervenir pour «faire exécuter» la chose jugée, proposer des modifications des textes, ou encore recevoir toute réclamation relative au dysfonctionnement d'un service public. En pratique, cette institution s'était avérée plutôt efficace dans la protection des droits et libertés face à l'administration, mais elle est appelée à disparaître dans un avenir proche.

La volonté du constituant de garantir plus efficacement les droits et libertés des individus s'est en effet notamment traduite par la création Défenseur des droits par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. Aux termes de l'article 71-1 de la Constitution «le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l'État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d'une mission de service public, ou à l'égard duquel la loi organique lui attribue des compétences. /Il peut être saisi, dans les conditions prévues par la loi organique, par toute personne s'estimant lésée par le fonctionnement d'un service public ou d'un organisme visé au premier alinéa. Il peut se saisir d'office...». La loi organique censée définir les attributions et les modalités d'intervention du Défenseur des droits n'a pas encore été adoptée, mais selon toute vraisemblance16, ses attributions incluront celles aujourd'hui exercées par le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants et la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), et il devrait être associé aux travaux de la HALDE et de la CNIL. La saisine du Défenseur devrait être gratuite. Enfin, il devrait disposer de pouvoirs importants, notamment d'investigation et d'injonction.

Si certaines voix se sont élevées pour critiquer le remplacement du Défenseur des enfants et de la CNDS, dont les rapports publics se sont parfois avérés extrêmement gênants pour le pouvoir, seule la pratique permettra d'évaluer la pertinence réelle de la création de cette nouvelle institution constitutionnelle.

4.3.2.2    La protection parlesjuges

La protection juridictionnelle des droits et libertés fondamentaux appartient, en France, aux juridictions ordinaires (a) et à la juridiction constitutionnelle (b).

4.3.2.3    La protection par les juridictions ordinaires

La France a opté, depuis la loi des 16 et 24 août

1790, pour le dualisme juridictionnel. Il existe en effet deux ordres de juridictions ordinaires : les juridictions judiciaires, juridictions «de droit commun» placées sous l'autorité de la Cour de


cassation, et les juridictions administratives, spécialement dédiées à la résolution des litiges administratifs et placées sous l'autorité du Conseil d'Etat.

Originellement, il faut dire que les juridictions administratives se présentaient davantage comme protectrices des prérogatives de l'administration que des droits et libertés des personnes face à l'administration. La justice administrative est d'ailleurs retenue jusqu'en 1872. A partir de ce moment, toutefois, le juge administratif s'est progressivement transformé en un protecteur très efficace des administrés face à l'administration, notamment grâce à I configuration prétorienne du recours pour excès de pouvoir, finalement présenté comme «l'arme la plus efficace, la plus économique et la plus pratique qui existe au monde pour défendre les libertés publiques»50. Parla suite, il est vrai que le début de la V4™ République n'a pas constitué une période «faste» pour la juridiction administrative, mais les choses ont changé à l'approche du troisième millénaire, le juge administratif s'étant en particulier vu doter d'un pouvoir d'injonction (loi du 8 février 1995) et de moyens efficaces pour faire face à l'urgence (loi du 30 juin 2000), de sorte qu'il apparaît aujourd'hui comme un protecteur des droits et libertés des individus au moins aussi fiable que son homologue judiciaire.

Reste que la protection des droits et libertés constitutionnels serait incomplète si elle n'était par ailleurs confiée à une juridiction constitutionnelle, pour au moins deux raisons. D'une part parce que les juridictions ordinaires sont incompétentes pour contrôler la constitutionnalité des lois51. D'autre part parce que les juridictions ordinaires font parfois preuve d'une certaines réticence à appliquer directement certaines dispositions constitutionnelles, en particulier certaines de celles du Préambule de 1946 et de la Charte constitutionnelle de l'environnement, considérées comme trop « programmatiques » et comme recélant, par conséquent, de simples objectifs constitutionnels, inopposables à l'administration et aux personnes privées tant qu'ils n'ont pas été mis en œuvre par le législateur*2

“G. Jèze, « Les libertés Individuelles », Annuaire de l'institut international de droit public, 1929, p. 1BO.

"Cf. notamment l'arrêt de référence du Conseil d'Etat surcette question : CE, 6 novembre 1936, Arrighi etDameCoudert{2 arrêts), rec. 966. “Cf. cependant CE, Ass., 3 octobre 2008, Commune d'Annecy, RDP 2/09, p. 450. aL. Favoreu, RDP 1967, pp. 5-120.


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4.3.2A La protection par la juridiction constitutionnelle

Si le Conseil constitutionnel était au départ davantage conçu comme un organe «régulateur de l'activité normative des pouvoirs publics»53 que comme une ji diction chargée de protéger les droits et libertés des personnes face au législateur, sa physionomie a radicalement changé au début des années soixante-dix. Deux évolutions se sont avérées décisives. En premier lieu, ainsi qu'il a été expliqué, le Conseil constitutionnel a reconnu en 1971 la valeur constitutionnelle des textes auxquels renvoie le Préambule de la Constitution (Déclaration de 1789. Préambule de 1946, puis Charte de l'environnement de 2004), ouvrant ainsi la voie à un contrôle substantiel de constitutionnalité des (ois. En second lieu, une importante révision constitutionnelle de 1974 est venue élargir la saisine du Conseil constitutionnel à 60 députés ou 60 sénateurs (en plus des autorités de saisine existantes : Président de la République, Premier ministre, Président du l'Assemblée nationale et Président du Sénat), permettant ainsi à l'opposition de contester la constitutionnalité de la loi.

Néanmoins, le contrôle de constitutionnalité des lois demeure jusqu'à présent particulièrement fermé en France puisque le Conseil constitutionnel ne peut intervenir qu'a priori (c'est-à-dire tant que la loi n'est pas entrée en vigueur), et en aucun cas sur saisine des individus. A cet égard aussi, cependant, les choses sont en passe d'évoluer très prochainement puisque la révision constitutionnelle de 2008 a introduit dans la Constitution un nouvel article 61-1 aux termes duquel «Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux draiis et libertés que la

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Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé». Ce nouveau mécanisme de question préjudicielle de constitutionnalité, dont les modalités de mise en œuvre et le caractère prioritaire ont été précisés par la loi organique du 10 décembre 2009, entrera en vigueur le 1er mars 2010. Comme pour l'ensemble des aspects de cette grande révision constitutionnelle, seule la pratique permettra de mesurer l'impact de cette innovation sur le droit français, et plus précisément sur la protection des droits et libertés constitutionnels dans l'Hexagone.

Quoi qu'il en soit, cette nouveauté est la marque d'une confiance de plus en plus grande accordée au Conseil constitutionnel, ce qui n'est pas anodin lorsque l'on se souvient de l'histoire de la justice constitutionnelle en France.

5- LA JUSTICE CONSTITUTIONNELLE

Si le Conseil constitutionnel institué avec la V4™ République constitue certainement la première véritable expérience française de justice constitutionnelle (2), il serait erroné de croire que cette magistrature particulière était totalement absente des idées et régimes antérieurs (1 ).

5.1    La justice constitutionnelle dans les idées et expériences constitutionnelles antérieures à 1958

Avant 1958, la France peut se prévaloir d'un certain nombre d'idées révolutionnaires (a) et d'expériences altérées (b) en matière de justice constitutionnelle.

5.1.1    Les idées révolutionnaires

S'agissant des idées révolutionnaires en matière de justice constitutionnelle, on ne saurait se passer d'évoquer, tout d'abord, le Tribunat imaginé par J.-J. Rousseau. Il était question d'une magistrature particulière, chargée de garantir l'harmonie entre les divers organes suprêmes et d'assurer que chacun se maintienne dans les limites qui lui sont assignées par la Constitution. Ainsi Rousseau estimait-il que «quand on ne peut établir une exacte proportion entre les parties constitutives de l'État, ou que des causes indestructibles en altèrent sans cesse les rapports, alors on institue une magistrature particulière qui ne fait point corps avec les autres, qui replace chaque terme dans son vrai rapport». Cette magistrature devait s'appeler Tribunat17.

Cependant, l'idée d'un contrôle de la représentation nationale ne voit véritablement le jour qu'après la Terreur, qui démontre les faiblesses du système représentatif. E. J. Sieyès envisageait ainsi, dans le projet de Constitution présenté à la Convention le 2 thermidor an III, de créer un «jury constitutionnaire», dont la mission aurait été de juger les réclamations contre toute atteinte portée à la Constitution par les pouvoirs publics18. Il devait s'agir d'un corps composé d'une centaine de membres ayant appartenu aux Assemblées parlementaires des régimes précédents, l'idée étant que de tels hommes seraient plus aptes à intervenir face aux actes de la représentation nationale. Sieyès prévoyait de confier trois grandes fonctions à ce jury. Il devait d'abord être un véritable protecteur de la Constitution en vérifiant la constitutionnalité des actes des deux Assemblées parlementaires sur saisine de la minorité opposante de ces corps, du Tribunal de cassation ou des citoyens directement. La sanction devait être la nullité de l'acte déféré et la possibilité de renvoyer les auteurs de ces actes à un Tribunal si leur responsabilité pénale venait à être engagée. La deuxième fonction du jury constitutionnaire était une fonction de conseil en matière constitutionnelle, celui-ci pouvant consigner sur un registre les vœux de ses membres destinés à améliorer la Constitution. Ces vœux auraient été transmis aux Assemblées tous les dix ans, lesquelles auraient pu les rejeter ou les accepter mais sans pouvoir les modifier. Enfin, le jury constitutionnaire devait être


chargé de se prononcer selon les règles de l'équité naturelle dans tous les cas où un Tribunal ne trouverait pas la solution d'un litige dans la loi, comblant ainsi les vides de la juridiction positive par une sorte de juridiction naturelle.

Mais ce jury rappelait probablement un peu trop les Parlements de l'Ancien Régime qui, par le droit de remontrance, avaient progressivement acquis celui de faire échouer les réformes royales. Il en est résulté une grande méfiance à l'égard de toute forme de magistrature indépendante (que traduit bien la grande loi des 16 et 24 août 1790) et c'est probablement la raison pour laquelle l'idée du jury constitutionnaire suscitait bien des inquiétudes. Thibaudeau faisait d'ailleurs valoir, suivant une formule restée célèbre, que «ce pouvoir monstrueux serait tout dans l'Etat, et qu'en voulant donner un gardien aux pouvoirs publics on leur donnerait un maître aui les enchaînerait pour les garder plus facilement». Le projet de Sieyès fut donc en définitive repoussé à l'unanimité par l'Assemblée et le respect de la Constitution fut remis à la sagesse des corps constitués.

Au demeurant, si la proposition de Sieyès était sans doute prématurée, l'idée était lancée, et elle fut réutilisée - bien que de façon altérée - assez rapidement par la suite.

5.1.2 Les expériences faussées

Il est possible d'identifier, dans l'histoire constitutionnelle française, deux sortes d'expériences d'un contrôle de constitutionnalité plus ou moins altéré : les Sénats impériaux (1) et le Comité constitutionnel de la IV*™ République (2).

5.1.2.1 Les Sénats impériaux

Les constituants bonapartistes ont établi, en 1799 puis 1852, un contrôle de la constitutionnalité des lois par un organe politique, le Sénat conservateur. Mais celui-ci étant entièrement sous la dépendance politique de l'Empereur, il ne remplit jamais véritablement les fonctions de la justice constitutionnelle.

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5.1.2.2 Le Sénat conservateur de la Constitution de l'an VIII

Le Sénat conservateur de la Constitution de l’an VIII (art. 15 et s.) était composé de vingt-quatre membres nommés à vie, inamovibles et inéligibles à toute autre fonction publique. Aux termes de l'art. 21 de la Constitution, il devait maintenir ou annuler «tous les actes qui lui sont déférés comme inconstitutionnels par le Tribunat ou par le gouvernement : les listes d'éligibles sont comprises parmi ces actes».

Le sénat conservateuravait ainsi un statut qui aurait pu laisser croire à son indépendance, mais il n'était en réalité qu'un instrument docile dans la main du Premier consul, auquel il donne le consulat à vie en l'anX. En retour, le Sénat voit ses pouvoirs accrus : il peut fixer la Constitution des colonies, préciser «tout ce oui n'a pas été prévu par la Constitution, et qui est nécessaire à sa marche» et expliquer les «articles de la Constitution qui donnent lieu à différentes interprétations» (Senatus-consulte organique du 16 thermidor an X). En outre, le Premier consul pouvait aussi nommer directement les membres du Sénat parmi les citoyens distingués par leurs services et leurs talents, leur permettant dans le même temps d'être consuls, ministres, membres de la légion d'honneur, etc. Or, à partir du moment où les honneurs du régime leur sont accessibles, les membres du Sénat perdent évidemment l'indépendance qu'aurait dû supposer leur fonction de gardien de la Constitution. Au-delà de cette déviation statutaire, c'était le mode de saisine du Sénat conservateur qui condamnait le système, puisqu'il ne pouvait être saisi que par le Tribunat, que Napoléon réduisit progressivement à néant avant de le faire disparaître en 1807, ou le Gouvernement, lequel était évidemment un allié de l'Empereur. Enfin, la généralité de sa compétence et l'absence de sanction véritablement organisée n'étaient pas de nature à renforcer sa crédibilité.

Elise Carpentier

5.1.2.3. Le Sénat de la Constitution de 1852

Le Sénat du Second Empire reproduit a bien des égards ie modèle de l'an VI11.


Du point de vue statutaire, il est largement sous la coupe de l'exécutif. Les membres autres que les membres de droit sont désignés par le Chef de l'Etat, qui peut augmenter l'effectif de l'assemblée de 80 à 150 membres. Et si les nominations sont à vie et en principe gratuites, la Constitution prévoit que le Chef de l'Etat peut accorder une dotation personnelle à chaque sénateur. C'est aussi lui qui convoque, proroge et fixe la durée des sessions, qui ne sont pas publiques.

Quant à ses compétences, elles sont certes un peu mieux assises que celles du Sénat de l'an VIII. Selon l'article 25 de la Constitution, «le Sénat est le gardien du pacte fondamental et des libertés publiques. Aucune loi ne peut être promulguée avant de lui avoir été soumise». Il exerce donc en principe un contrôle systématique de constitutionnalité. Mais l'article 26 précise et donc limite cette compétence en indiquant que le Sénat s'oppose à la promulgation des lois qui porteraient atteinte à la Constitution, à la religion, à la morale, à la liberté des cultes, à la liberté individuelle, à l'égalité des citoyens devant la loi, à l'inviolabilité de la propriété, au principe de l'inamovibilité de la magistrature ainsi que celles qui pourraient compromettre la défense nationale.

Comme sous l'an VIII, il fixe la Constitution des colonies, peut compléter la Constitution et en donner l'interprétation lorsqu'elle est susceptible de plusieurs sens. Il peut aussi proposer des modifications à la Constitution. Mais ces compétences sont soumises au pouvoir exécutif qui les sanctionne et les promulgue par Senatus-consulte. Le Sénat est donc plus un collaborateur de l'exécutif qu'un véritable gardien de la Constitution.

Quant à l'exercice du contrôle de constitutionnalité, il est prévu que le Sénat « maintient ou annule tous les actes qui lui sont déférés comme inconstitutionnels par le gouvernement, ou dénoncés, pour la même cause, par les pétitions des citoyens » (art. 29 de la Constitution). Mais compte tenu de son statut, il était clair que le Sénat n'aurait pas tendance à censurer des actes

- en particulier des lois - dont le Chef de l'Etat avait l'initiative exclusive. Le contrôle de constitutionnalité ne fut donc pas plus réel sous le Second que sous le Premier Empire.

L'échec de ces expériences a logiquement disqualifié le système de contrôle politique, et il ne fut dans le même temps pas sans incidence sur le principe même du contrôle de constitutionnalité. Celui-ci est d'ailleurs totalement absent des lois constitutionnelles de 1875. Pour autant, l'idée ne tarda pas à réapparaître. Sous la lllème République, en effet, se développe un important courant en faveur du contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois (les thèses et articles des plus éminents auteurs se multiplient), la doctrine et la classe politique se divisant néanmoins quant aux modalités de ce contrôle : système d'exception d'inconstitutionnalitè, sur le modèle américain, ou système de contrôle par voie d'action, du type de celui mis en place par la Constitution autrichienne de 1920. C'est finalement cette seconde option qui sera retenue par les constituants de la IVéme République.

5.1.2.4 Le Comité constitutionnel de 1946

Dans la continuité logique des débats ayant animé la lllème République, la Constitution de la IV*™ République crée un Comité constitutionnel dont le statut et les compétences sont fixées aux articles 91 à 93 de la Constitution.

Quant à son statut, le Comité constitutionnel est un organisme de treize membres, présidé par le Président de la République, mais dont la composition est largement déterminée par les Assemblées parlementaires. Outre trois membres de droit que sont le Président de la République et les Présidents des deux Assemblées, le Comité comprend en effet dix membres élus annuellement par les Chambres, selon le principe de la représentation proportionnelle des groupes parlementaires. La désignation a donc un caractère politique marqué, renforcé par le fait que cette désignation a lieu chaque année. Aucune condition spécifique d'âge, de compétence ou d'expérience dans le domaine juridique ou judiciaire ne sont fixées (la seule incompatibilité est fixée en 1950 et


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concerne le mandat de parlementaire). Les membres ne sont astreints è aucun serment et ne sont pas rémunérés. De façon générale, cette organisation et ce mode de désignation (en particulier l'élection annuelle par le Parlement) étaient évidemment de nature à placer le Comité sous la dépendance du Parlement.

Quant au rôle du Comité constitutionnel, il consistait à examiner si les lois votées par l'Assemblée nationale supposent une révision de la Constitution (art. 91 de la Constitution). De fait, le contrôle exercé par le Comité était davantage un contrôle de la constitutionnalité de la révision destiné à vérifier que l'Assemblée n'a pas voté suivant la procédure de la loi ordinaire une loi en réalité constitutionnelle.

désormais compatible avec la démocratie et la République.

5.2 La justice constitutionnelle dans le cadre de la Constitution de 1958

Compte tenu du précédent de 1946, la création du Conseil constitutionnel par la Constitution du 4 octobre 1958 est une surprise relative. Les principaux éléments de son statut (a) et ses compétences (b) sont fixés par le titre VII de la Norme fondamentale (art. 56 h 63).

5.2.1    Le statut du Conseil constitutionnel

La statut du Conseil constitutionnel peut être présenté en distinguant entre les règles relatives à la nomination de ses membres (1) et celles relatives à l'exercice de leurs fonctions (2).

5.2.1.1    La nominatíon des membres du Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel a son siège dans l’aile Montpensierdu Palais Royal à Paris. Il compte neuf membres nommés, auxquels s'ajoutent es anciens Présidents de la République, membres de droit à vie en vertu de la Constitution.

Les membres nommés le sont pour une durée de 9 ans par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat, qui nomment chacun une personnalité tous les trois ans (ce qui aboutit à un renouvellement des membres par tiers tous les trois ans, permettant d'assurer une certaine stabilité et une continuité dans les travaux de la juridiction constitutionnelle) Le Résident de la République nomme en outre le président du Conseil constitutionnel, au'il choisit parmi les membres. Cet répartition des nominations entre les plus hautes autorités politiques de l'Etat a été retenue afin de garantir la sérénité des choix et le prestige du Conseil. Le constituant n'a en effet pas souhaité donner, comme aux Etats-Unis, la

Il ne pouvait intervenir, qu'une fois la loi votée et dans le délai de promulgation de celle-ci, sur saisine conjointe du Chef de l'Etat et du Président du Conseil de la République, suite à une demande formulée à la majorité absolue des membres du Conseil de la République. Par crainte du gouvernement des juges (trop bien systématisé par E. Lambert sous la lllème République56) enfin, la compétence du Comité constitutionnel était limitée aux seules dispositions relatives à l'organisation des pouvoirs publics, à l'exclusion des dispositions du Préambule. Le contrôle de constitutionnalité était donc essentiellement procédural.

Concrètement, le Comité constitutionnel s'est avéré pratiquement inexistant puisqu'il ne rendit qu'une seule délibération57. Cette circonstance, alors même que les conflits entre le Président de la République et l'Assemblée nationale ne furent pas rares sous la IV4™ République, est bien révélatrice de l'impuissance du système instauré en 1946.

Cependant, la création et l'existence de ce Comité eurent au moins pour effet de mettre un terme aux velléités de contrôle de constitutionnalité des lois par voie d'exception par les juridictions ordinaires, du fait de l'option pour le modèle kelsénien, et de servir de précédent justificateur en 1958, le contrôle de constitutionnalité des lois apparaissant

Elise Carpentier

“Le gouvernement des juges et la lutte contre la législation sociale aux Etats-Unis : l'expérience américaine du contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois, Paris, Giard et Brière, 1921, rééd. Dalloz, 2005.

"Délibération du 18 Juin 1948, RDP1949, p. 206. sur les prérogatives du Conseil de la République à l'égard de l'Assemblée nationale dans la procédure d'urgence.

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compétence de désignation de tous les membres au Président de la République, en considérant que l'autorité du Conseil serait plus grande, eu égard au rôle qui est le sien, si les deux Assemblées du Parlement ne restaient pas étrangères à sa formation. Pour autant, le pouvoir de nomination n'a pas été attribué aux Assemblées elles-mêmes mais à leurs présidents, pour éviter un dosage politique du type de celui que connaissait le Comité constitutionnel de 1946. Au demeurant, il est vrai que combiné à la qualité de membres de droit des anciens présidents de la République, le système français peut conduire à des situations pour le moins originales68...

La liberté de choix des autorités de nomination est d'autant plus grande que les conditions d'éligibilité au Conseil constitutionnel sont extrêmement réduites : il suffit de jouir de ses droits civils et politiques. Aucune condition particulière d'âge n'est donc posée, que ce soit comme minimum (il suffit d'être majeur) ou comme maximum (le texte fixant l'âge de la retraite dans la haute fonction publique ne s'applique pas au Conseil constitutionnel). Par ailleurs, surtout, à la différence de ce qui prévaut dans la plupart des Etats voisins de la France, aucune exigence spécifique n'est posée concernant la compétence juridique des membres du Conseil constitutionnel, lesquels peuvent donc, en théorie au moins, être parfaitement incultes en droit constitutionnel. En réalité cependant, la plupart des membres, même recrutés dans le milieu politique, peuvent souvent se prévaloir d'un haut niveau d'études juridiques (effectuées dans les facultés de droit et-ou à l'Ecole nationale d'administration) et parfois d'une grande expérience dans une profession juridique (anciens magistrats, avocats ou professeurs de droit). Et à vrai dire, ce qui paraît important n'est pas que le Conseil constitutionnel soit composé de spécialistes des différentes branches du droit, mais qu'il y ait en son sein un équilibre entre les techniciens et les praticiens du droit, entre les juristes et les politiques, car les problèmes à trancher sont souvent “politico-juridiques”.

“A l'heure actuelle, par exemple, Jean-Louis Debré, ancien président de l'Assemblée nationale, siège aux côtés d'autorités qu'il a nommées (Jean-Louis Pezant et Guy Canivet) avant d'être lui-même nommé membre et président du Conseil par le président Chirac, aux côtés duquel il siège également.

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Quoi qu'il en soit, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la décision des autorités de nomination doit être précédée d'un avis. Pour le Président de la République, c'est la procédure prévue à l'article 13 de la Constitution qui est applicable, c'est-à-dire qu'il doit recueillir l'avis de la commission permanente compétente de chaque Assemblée et ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. Il est vrai qu'un vote défavorable à la majorité des trois cinquièmes est assez improbable, mais cette procédure (qui passera par une audition du candidat) devrait porter le Président à ne présenter que des personnalités acceptables. Les nominations effectuées par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat sont quant à elles soumises au seul avis de la commission permanente compétente de l'Assemblée concernée.

Enfin, le principe posé par l'article 56 de la Constitution est celui du caractère non renouvelable du mandat. Il s'agit là d'une garantie importante de l'indépendance des membres, qui peuvent ainsi d'autant plus aisément faire montre d'ingratitude à l'égard des personnalités qui les ont nommés.

5.2.1.2. L'exercice des fonctions des membres du Conseil constitutionnel

Avant d'entrer en fonction, les membres nommés du Conseil constitutionnel prêtent serment devant le Président de la République. Ils jurent «de bien et fidèlement remplir leurs fonctions, de les exercer en toute impartialité dans le respect de la Constitution, de garder le secret des délibérations et des votes et de ne prendre aucune position publique, de ne donner aucune consultation sur les questions relevant de la compétence du Conseil».

Ces engagements correspondent aux principales obligations s'imposant aux membres du Conseil constitutionnel pendant le temps où ils sont en fonction, et même au-delà s'agissant du secret des délibérations et des votes. Ces devoirs sont toutefois empreints d'une certaine relativité. En premier lieu, parce que faute de sanction applicable du fait de leur qualité de membres à vie du Conseil, les anciens Présidents de la République en sont dispensés et n'ont d'ailleurs pas même à prêter serment59. Cest dire que le respect des obligations qui s'imposent aux autres membres ne dépend, pour les membres de droit, que de leur conscience. En second lieu parce que les devoirs en question donnent lieu à une interprétation assez souple de la doctrine et des membres du Conseil eux-mêmes60. Mais force est de constater que les méconnaissances des obligations inscrites dans le serment demeurent relativement rares et n'ont nmais véritablement porté atteinte au crédit de l'institution.


Autre gage d'indépendance, les fonctions de membre du Conseil constitutionnel sont incompatibles avec celles de ministre ou de parlementaire, de membre du Conseil économique social et environnemental, avec tout poste de responsabilité ou de direction au sein d'un parti ou groupement politique et, depuis 1995, avec tout mandat électoral, la réforme de 1995 ayant par ailleurs étendu aux membres du Conseil constitutionnel les incompatibilités professionnelles applicables aux parlementaires. Il ne s'agit au demeurant dans tous les cas que d'incompatibilités et non d'inéligibilités.

En dehors de ces incompatibilités, les membres du Conseil peuvent parfaitement conserver une activité à côté de leur fonction de juge constitutionnel, sous deux réserves. Aux incompatibilités au sens strict s'ajoutent en effet une Interdiction générale d'exercer toute activité qui serait incompatible avec l'indépendance et la dignité de la fonction et une interdiction d'être nommé à un emploi public ou, si le membre du Conseil est fonctionnaire, de bénéficier d'une promotion au choix pendant l'exercice des fonctions.

‘"Récemment, l'implication très forte de Valéry Giscard d'Estaing dans le processus d'intégration européenne a parfois été considérée comme Incompatible avec son statut demembredu Conseil constitutionnel.

“Outre que l'obligation de garder le secret des délibérations et des votes a parfois été ouvertement violée, il n'est pas rare que des membres du Conseil commentent sa Jurisprudence, et le président du Conseil J.-L Debré a même décidé en 2007, par souci de pédagogie, d'intervenir dans les médias pour expliquer les décisions de l'institution qu'il préside.


Enfin, les membres du Conseil constitutionnel sont irrévocables. Ils ne peuvent donc en principe être contraints à abandonner leurfbnction si ce n'est par le Conseil lui-même (en raison d'un manquement à l'une de leurs obligations par exemple). L'inamovibilité des membres de droit est encore plus grande puisqu'étant membres à vie du Conseil constitutionnel en vertu de la Constitution, ils ne peuvei il même pas être démis d'office par le Conseil.

De manière générale, il apparaît que tous ces éléments sont plutôt de nature à garantir une l'indépendance des membres du Conseil constitutionnel. Et si le mode de désignation des membres nommés ainsi que la présence des anciens présidents de la Réput..que comme membres de droit pourraient laisser craindre une politisation excessive du Conseil, force est de reconnaître qu'en pratique, son impartialité dans l’exercice de ses compétences n'a jamais pu être sérieusement contesté.

5.2.2 Les compétences du Conseil constitutionnel

Ainsi que son appellation le suggère, le Conseil constitutionnel dispose de compétences consultatives (1), mais celles-ci ne sont qu'accessoires. Les compétences principales du Conseil sontde nature juridictionnelle (2).

5.2.2.1 Les compétences de nature consultative

Le Conseil constitutionnel joue un rôle consultatif dans deux séries d'hypothèses.

En premier lieu, il intervient en cas de mise en œuvre par le Président de la République des pouvoirs exceptionnels que lui reconnaît l'article 16 de la Constitution. Aux termes de cette disposition, le Président de la République doit consulter le Conseil constitutionnel avant de décider de mettre en application l'article 16, puis sur l'ensemble des mesures qu'il prend en vertu de ses pouvoirs exceptionnels (seul le premier avis est public). Par ailleurs, il est prévu depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qu'après trente jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d'examiner si les conditions énoncées au premier alinéa de l'article 16 demeurent réunies61. Le cas échant, il doit se prononcer par un avis public dans les plus brefs délai. Enfin, il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée.

Elise Carpentier


En second lieu, le Conseil constitutionnel est consulté par le Gouvernement sur les textes relatifs à l'organisation du scrutin pour l'élection du Président de la République et le référendum. Ses avis ne sont pas toujours suivis, mais il intéressant de constater que le Conseil a donné à sa compétence consultative en matière électorale une dimension publique et prospective en prenant l'habitude de formuler régulièrement des «observations», en vue ou au lendemain d'un scrutin, afin d'attirer l'attention des pouvoirs publics sur les éventuelles lacunes des textes. Or, bien qu'elles n'aient aucun caractère contraignant, ces observations ont généralement conduit les pouvoirs normatifs à intervenir. Cette conception large de ses attributions par le Conseil constitutionnel est assez inhabituelle. Elle doit peut-être être reliée à la circonstance que le Conseil dispose également d'attributions juridictionnelles en matière électorale et référendaire.

5.2.2.2 Les compétences de nature juridictionnelle

La compétence juridictionnelle du Conseil constitutionnel recouvre trois contentieux distincts.

E1Les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux doivent être menacées d'une manière grave et immédiate et le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels doit être interrompu.

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Tout d'abord, le Conseil constitutionnel est juge en matière électorale et référendaire. Il statue en effet sur la régularité de l'élection du Président de la République et des opérations de référendum dont il proclame les résultats. Il est également juge de la régularité de l'élection, des régimes de l'éligibilité et de l'incompatibilité des parlementaires. Largement ouvertes aux électeurs, les saisines du Conseil en matière électorale ont vu leur nombre considérablement augmenter à la suite du vote de la législation organisant et contrôlant le financement des dépenses électorales dont le Conseil est juge pour les candidats aux élections législatives et présidentielle (en appel). Ainsi, au 4 octobre 2008, le Conseil avait rendu 2710 décisions en matière électorale pour 791 décisions sur le contentieux des normes.

Ensuite, le Conseil constitutionnel dispose d'attributions juridictionnelles en matière institutionnelle. Il peut en effet être appelé à trancher des litiges entre le Parlement et le Gouvernement relativement à leurs domaines de compétence respectifs dans le cadre des articles 37 al. 2 et 41 de la Constitution, le second ayant été modifié par la révision constitutionnelle de 2008. Depuis cette révision, par ailleurs, le Conseil constitutionnel peut être amené à trancher les conflits entre la Conférence des présidents d'une Assemblée et le Gouvernement sur le point de savoir si les règles fixées par la loi organique visée à l'article 39 de la Constitution ont été respectées préalablement à l'inscription d'un projet de loi à l'ordre du jour. Enfin, le Conseil constitutionnel est juge de la répartition des compétences entre l'État et les collectivités d'outre-mer (art. 74 CF ; à ce jour : Polynésie française, Saint-Barthélemy et Saint-Martin).

Pour finir, le Conseil constitutionnel dispose d'attributions juridictionnelles à l'égard des normes. Le contrôle de constitutionnalité est facultatif pour les lois ordinaires (art. 61 al. 2 CF), les engagements internationaux (art. 54 CF) et lois du pays adoptées par le congrès de la Nouvelle-Calédonie (art. 77 CF) ; il est obligatoire pour les lois organiques et les règlements des assemblées parlementaires (art. 61 al. 1 CF). Il est toujours abstrait et s’exerce en principe par vcie d'action sur saisine d'un nombre relativement restreint d’autorités. Mais un contrôle de constitutlonnalité des lois par voie d'exception a été prévu par le constituant de 2008 et entrera en application le 1W mars 2010. Comme pour l'ensemble des modifications introduites lors cette grande révision constitutionnelle, seule la pratique permettra d'apprécier son impact sur les caractéristiaues de la justice constitutionnelle française.


BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

............................................................:.................x......:...............:..................-.........M

Histoire politique et constitutionnelle

Ouvrages usuels:

-    Deslandres, M. (1977). Histoire constituttonnelle de /a France (1789-1875), 3 tomes, rééd. Paris, Duchemin.

-M. Morabito. (2008). Histoire constitutionnelle de la France (1789-1958), Paris, Montchrestien.

-    J .-J. Chevallier. (1991 ). Histoire des institutions et des régimes politiques de la France de 1789 î nos jours. Paris, Dalloz.

Ouvrage collectif:

-    La continuité constitutionnelle française en Francs de 1789à 1989; (1990). Paris, Economica, PUAM. Ouvrage non spécifiquement juridique :

-    Max Gallo. (2007). L'âme de la France - Une histoire de la nation des origines à nos jours, Paris, Fayard. Droit constitutionnel et vie politique

-    Ph. Ardantet B. Mathieu. (2009). Institutions politiques et droit constituthnnel, Paris, LGDJ.

-    L. Favoreu et al. (2009). Droit constitutionnel, Paris, Dalloz.

-F HamonetM Troper (2009). Droit constitutionnel, Paris, LGDJ.

-    J. Gicquel et J.-E. Gicquel. (2009). Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien.

-    G. Carcassonne. (2009). La Constitution. Paris, Seuil.

-G. Lebreton. (2009). Libertés publiques et droits de l'homme, Paris, Dalloz.

-    L. Favoreu et L. Philip. (2009). Lesgrandes décisions du Conseil constitutionnel, Paris, Dalloz.

Contentieux constitutionnel

-    G. Drago. (2006). Contentieux constitutionnel français, Paris, PUF.

-    D. Rousseau. (2008) Droit du contentieux constitutionnel, Paris, Montchrestien.

-    Site internet du Conseil constitutionnel (notamment pour textes constitutionnels et les décisions du Conseil constitutionnel) : http://www.conseil-constitutionnel.fr/

Elise Carpentier


1

“Décision n° 83-168 DC, Loi portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale.

2

La loi, expression de la volonté générale, Paris, Sirey, 1931. “CE, 8 août 1919, ¡.abonne, rec. 737.

3

“Cassciv. 22 décembre 1931, conclusions Matter et CE, Sect., 1er mars 1968¡Syndicat général desfabricants de semoules de France.

4

“Décision n° 74-54 DC, du 15 janvier 1975, IVG, GDCC...

5

“Chambre mixte, 24 mai 1975, Société des cafés Jacques Vabre.

6

CE, assemblée, 20 octobre 1989, Nicolo, rec. 190.

7

mCE, 24 septembre 1990, Boisdetet CE, 28 février 1992, SA Rothmans International France.

8

“Cf. respectivement CE, Assemblée, 6 juin 1997, Aquarone, rec. 207 et CE, 28 juillet 2000, Paulin.

9

“Chambre sociale, 16 décembre 2008, Eichenlaub c. Axa.

10

”CE, sect. 11 janvier 1991, SA Morgane, solution réitéré en 2007.

11

"Cf. l'ouvrage de François Ost et Michel Van de Kerchove, De la pyramide au réseau?, Bruxelles, Facultés universitaires de Saint Louis, 2002.

12

“Décision n° 92-312 DC, du 2 septembre 1992, Traité sur l'Union européenne.

13

Décision n° 2003-469 DC, du 26 mars 2003, Décentralisation.

14

"Décision n‘ 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, Bioéthique. GDCC...

15

“Décision n° 84-173 DC du 26 juillet 1984, Loi relative à l'exploitation des services de radio-télévision mis à la disposition du public sur un réseau câblé, créant a haute autorité de la communication audiovisuelle- HACA.

16

“Communiqué du Conseil des ministres du 9 septembre 2009.

17

Du contrat social, Genève, éd. du Cheval ailé, 1947, Livre IV, chap. V.

18

Cf. P. Bastid, Les discours de Sieyès dans les débats constitutionnels de l'an lii (2 et 18 thermidor), Paris, Hachette, 1939.