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Revista Jurídica Piélagus, Vol. 12, N° 1, pp. 157-165 - ISSN 1657-6799 – Enero – Diciembre de 2013 / 196 p. Neiva, Colombia |
Recibido: 07/03/13 Aprobado: 08/09/2013
Germán Alfonso López Daza
Doctorat en Droit constitutionnel Université de Paris II (Panthéon-Assas) Profesor e investigador Universidad Surcolombiana (Colombia) Director de la maestría en Derecho público Universidad Surcolombiana (Colombia) |
germanlo@usco.edu.co |
«Sin vacilación profetizo la ruina a aquel Estado en la que la ley depende del poder del gobernante y no es ella misma quien gobierna» Platón |
RESUMEN
La tradicional teoría de la separación de funciones propuesta por Montesquieu ha quedado corta en la
actualidad. Despues de dos siglos de validez, la complejidad del Estado actual no puede ser explicada por los
desarrollos teóricos propios de modelos estatales del siglo XVIII, XIX y XX. Los nuevos desarrollos políticojurídicos
obligan a la teoría constitucional a reinterpretar las nuevas realidades con el fin de que las funciones
del Estado tengan un apoyo conceptual. Este artículo explica los nuevos alcances de la teoría del principio de
separación de poderes a las nuevas realidades del Estado del siglo XXI.
PALABRAS CLAVE
Separación de poderes, pesos y contrapesos, función judicial del congreso, gobierno de los jueces.
ABSTRACT
The traditional theory of the separation of functions created by Montesquieu has fallen short today. After two
centuries of validity, the complexity of the current state can not be explained by theoretical developments
own state models XVIII, XIX and XX century. The new political and legal developments require constitutional
theory to reinterpret the new realities in order that the functions of the state have a conceptual support. This
article explains the new scope of the theory of the separation of powers to the new realities of the twenty-first
century state.
KEY WORDS
Separation of powers, checks and balances, judicial function of congress, government of judges.
INTRODUCTION
La théorie constitutionnelle de la séparation des pouvoirs publics étant la rame l’exécutif traditionnels, législatif et judiciaire, est l’un des principes plus importants l’état de droit depuis le XVIIIe siècle.
La division tripartite des pouvoirs conçu à l’origine par John Locke et Montesquieu, conduit à une analyse des fonctions de l’Etat, qui a finalement porté et tournait autour de la loi (création, mise en oeuvre, l’interprétation). Cette division est justifiée en tant que le seul moyen d’assurer la liberté et les droits individuels.
Toutefois, après plus de deux siècles de validité de cette formulation théorique, la complexité de l’état actuel fait que la théorie doit être réinterprétée afin que les fonctions d’État ont stricte appui conceptuel.
Ainsi, aujourd’hui, nous parlons d’une collaboration harmonieuse entre les organes du gouvernement, ce qui implique des relations de coopération et de coordination. De même, il ya certaines fonctions législatives et de subvention exceptionnelle à l’exécutif, pour faire face à des situations anormales qui menacent la stabilité de l’état (l’état d’urgence, de siège, etc.)
Du côté de la législature, sa fonction principale n’est pas strictement limitée à promulguer des lois, mais dans de nombreux cas ont été attribués à des fonctions judiciaires de juger les hauts dignitaires de l’Etat.
Plus récemment, avec l’avènement de la justice constitutionnelle, les juridictions constitutionnelles prennent leurs décisions par des actes qui ont une connotation législative (l’affaire de manipulation) et en ordonnant la mise en oeuvre des actes législatifs et exécutifs eux-mêmes (tels que la disponibilité du budget publique).
Dans d’autres Etats tels que le Venezuela a été institué par Bolivar que le dite pouvoir populaire.
Dans ce contexte, est-il valide le modèle classique de la division des pouvoirs dans les tendances actuelles de l’Etat contemporain?
I. LA SÉPARATION DES FONCTIONS DU POUVOIR DE L’TAT
1. Le système de poids et contrepoids.
Le principe constitutionnel de séparation des fonctions est l’un des fondements de l’État de Droit et donc un élément essentiel de l’ordre constitutionnel.
Dans la Grèce antique, Platon et Aristote avaient ébauché une forme mixte de gouvernement composé de différents groupes y exerçant leur pouvoir. C’était plus un concept de pouvoir pluriel que de séparation des pouvoirs au sens strict.
La théorie de la séparation des pouvoirs fut présentée en 1689 par John Locke dans son célèbre ouvrage « Two treatises of government » et en 1748 par Charles Louis de Secondat Baron de Montesquieu dans son livre « De l’Esprit des lois ». Selon ces derniers, la séparation des pouvoirs est la seule façon de garantir la liberté : chacun des trois pouvoirs a son propre responsable et un système de correctifs et de v´tos assurent la liaison entre eux. (Berlin Valenzuela 1993).
La séparation des pouvoirs formulées par Locke et Montesquieu, loin d’être une tentative d’harmonisation et d’interactions entre pouvoirs publics, est une séparation rigide des fonctions des trois organes de l’ État , dont le but est de limiter la concentration du pouvoir dans les mains d’une seule personne ou organe et de garantir aussi la liberté politique des responsables au moyen de contrôles réciproques entre les trois organes étatiques.
L’Histoire a démontré que tout individu détenant le pouvoir est enclin à en abuser
Sur ce point, le Baron de Montesquieu dans l’ouvrage « L’esprit des lois » a dit :
«Pour qu’il n’y ait pas abus de pouvoir, il faut que celui-ci soit freiné par un autre pouvoir. Il existe dans chaque État trois sortes de pouvoir : Le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif des biens qui dépendent du droit des personnes et le pouvoir exécutif des biens qui dépendent du droit civil. (...) Quand il y a réunion de ces deux pouvoirs dans une seule magistrature, il n’y a pas de liberté, puisqu’on peut craindre la création de lois tyranniques mises en application de façon tyrannique.»
John Locke s’est exprimée sur la mission du pouvoir législatif :
L’objectif suprême des hommes vivant en société, étant de jouir de leurs biens en toute tranquillité et paix , et les normes instituées pour vivre en société étant l’instrument permettant d’atteindre cet objectif, la première loi de toute société politique doit être celle qui détermine le pouvoir législatif afin de protéger la communauté et ses membres.
Montesquieu a défini trois sortes de gouvernements idéaux :
Montesquieu qui était un grand fervent du système parlementaire anglais, considérait la démocratie avec une constitution libérale comme la meilleure figure politique garantissant la liberté politique.
Pour une totale garantie de la liberté, Montesquieu a élaboré sa doctrine de la séparation des pouvoirs qui est aujourd’hui l’élément essentiel des démocraties modernes. Il doit y avoir indépendance et souveraineté entre les trois pouvoirs.
Bien que Montesquieu fût partisan d’un état séculier et autonome, il défendait aussi la doctrine de la loi morale naturelle. Il existe des lois de justice immuables et universelles qui ne peuvent être modifiées par un acte conventionnel du souverain ; ces lois sont antérieures aux lois positives et sont du ressort de Dieu, législateur universel.
La conception politique de Montesquieu a eu un fort impact sur la déclaration des droits de l’homme de la révolution française ainsi que sur la constitution des États Unis d’Amérique.
La séparation des pouvoirs est le résultat de l’exploration des mécanismes politicoinstitutionnels visant à éviter l’arbitraire des gouvernants et à assurer la liberté à tous.
Cette séparation tripartite des pouvoirs est le résultat de l’analyse des fonctions de l’État dans le domaine de la loi : sa création, son application et la solution des conflits dérivés de son application ; autrement dit les traditionnelles fonctions législative, exécutive et judiciaire. L’attribution de chacun de ces pouvoirs à trois organes distincts s’est fait dans le but de préserver les droits des citoyens de tout abus de l’autorité publique. L’application du principe : le pouvoir freine le pouvoir.
Ce modèle de division et contrôle du pouvoir a influencé le constitutionnalisme britannique, américain et français, et est devenu une caractéristique du concept même de Constitution. Il faut citer l’article 16 de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de1789, proclamée par l’Assemblée Nationale Française : « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, et la séparation des pouvoirs n’existe pas, n’a donc pas de constitution ».
En conclusion, le contrôle est inhérent à la consécration institutionnelle de la division des pouvoirs pour un équilibre et une liberté réels.
2. L e rôle des parlementaires dans les Etats constitutionnels contemporains.
L’évolution de la théorie de l’État a imposé la nécessité d’un contrôle des différents organes du pouvoir. Le système original qui assurait l’équilibre a été conservé; on l’appelle “checks and balances”. Il permet aux différentes branches d’interagir de façon harmonieuse et d’exercer un contrôle mutuel.
Les parlements sont non seulement centres de création normative mais également agents de contrôle populaire des autres organes. Le contrôle parlementaire confirme l’action du gouvernement dans ses présupposés juridico-constitutionnels (buts constitutionnels et directives politiques du Parlement), ce qui implique que le gouvernement engage sa responsabilité politique face au Parlement et qu’il existe un ensemble de mécanismes visant à exiger cette responsabilité.
Les relations de contrôle entre les organes étatiques ont pour but d’éviter les dépassements de pouvoirs ; ainsi il peut y avoir une collaboration harmonieuse entre les branches du pouvoir: coopération et coordination interinstitutionnelles.
Le contrôle législatif sur l’exécutif est le modèle des contrôles de nature politique qui nécessite d’outils de régulation garantissant l’équilibre des pouvoirs. Mais, qu’il s’agisse d’un régime présidentiel ou parlementaire, c’est à l’organe exécutif que revient la direction de l’État. C’est donc le congrès, représentant de la communauté, dont le rôle principal est de légiférer, qui exerce le contrepoids face à l’activité de l’exécutif.
L’organisation législative se compose d’une ou deux chambres quel que soit le régime (présidentiel ou parlementaire). Dans les pays de petite superficie, il existe en général une seule chambre. (Israël, Nouvelle Zélande, Norvège, Danemark, Équateur).
Le bicamérisme est le système le plus répandu dans le monde. Dans les États unitaires, la chambre haute (Chambre des Lords en Angleterre) est légitimée par la tradition et la raison. Cette chambre assure la représentation des régions qui constituent l’État.
Dans la plupart des états unitaires, la chambre haute n’a pas la faculté de s’opposer indéfiniment aux mesures votées par la chambre basse, surtout lorsque celle-ci a l’appui du gouvernement comme en France par exemple. Par contre, dans les états fédérés, le sénat a la possibilité de bloquer les projets qui lui sont soumis. C’est le cas des États Unis et de l’Australie (Ritchie, 2010 pag. 25).
En les démocratie parlementaires, le contrôle parlementaire est de nature politique; il est réalisé en même temps que toutes les activités du parlement , avec une attention toute particulière pour les minorités, afin de surveiller l’action générale du gouvernement.
Chez les démocraties présidentielles, c’est le congrès qui surveille le travail de l’exécutif : convocation des membres du gouvernement, organisation de débats portant sur leur travail. Dans ce système, le congrès n’a pas à sa disposition les mêmes outils que le parlement dans les démocraties parlementaires. La motion de censure ou l’élection d’un nouveau cabinet ne sont pas possibles.
Les parlementaires ou congressistes dans les démocraties contemporaines possèdent une structure fonctionnelle complexe. Le travail législatif se fait dans les « commissions ».
3. L es développements doctrinaires de Kelsen sur la division des pouvoirs
Hans Kelsen a présenté un concept très proche de celui de la séparation des pouvoirs existant dans les états actuels. L’auteur viennois disait que la révision judiciaire de la législation constituait un manquement certain au principe de séparation des pouvoirs. Ce principe est la base de la constitution nord-américaine et il est considéré comme l’un des éléments spécifiques de la démocratie.
La Cour Suprême des États Unis l’a défini ainsi : « Tous les pouvoirs institués par le gouvernement, soit au niveau d’un état, soit au niveau national, doivent être divisés en trois grands départements, l’exécutif, le législatif et le judiciaire ; les fonctions propres à chacun doivent être assurées par des corps distincts de serviteurs publics, et la perfection du système exige que les lignes qui les séparent et les divisent soient définies clairement et précisément.
Ce système est efficace seulement si les personnes investies des pouvoirs relatifs à chaque pouvoir n’envahissent pas les autres. Il faut absolument que chacune se limite aux fonctions qui lui ont été attribuées dans son propre département, conformément à la loi de création. » (kilbourn vs. Thompson, 103. U.S 168,19of.1880).
Le concept de séparation des pouvoirs désigne un principe d’organisation politique. Il présuppose que les pouvoirs en question sont déterminés comme des fonctions coordonnées de l’état et qu’il est possible de définir les tâches qui séparent les fonctions entre elles.
Kelsen affirme qu’il n’y a pas trois fonctions fondamentales de l’État mais deux: la création et l’application de la loi, et ces fonctions ne sont pas coordonnées mais sub supraordonnées.
Mais il est très difficile de définir les lignes qui différencient ces pouvoirs. En effet, la distinction entre création et application des lois est relative puisque la majorité des actes de l’état recouvre ces deux aspects de la loi à la fois.
Des analyses menées dans plusieurs pays sur les branches du pouvoir public ont conduit à cette constatation: il est impossible d’attribuer ces deux fonctions à deux organes et il est également impossible qu’un seul organe les assume en même temps.
Ces phénomènes sont fréquents dans les normes constitutionnelles de plusieurs pays latinoaméricains dans lesquels l’exécutif administre et crée des normes, le législatif légifère et juge les hauts fonctionnaires, et la branche judiciaire juge et aussi crée des normes de régulation des procédures judiciaires.
4. La séparation des pouvoirs législatif et exécutif
Quand on parle de la branche législative, on se réfère à la création de normes juridiques générales. Un organe est considéré comme étant législatif dès qu’il est autorisé à créer ces normes générales de droit.
Dans un état moderne qui s’appuie sur la constitution politique, il n’existe aucun ordre légal interdisant aux tribunaux et aux autorités administratives de créer des normes juridiques générales.
Lorsque les normes générales sont créées par l’exécutif, on les appelle « décrets » ou « règlements ou autrement encore dans certains cas.
Celles-ci ont le même caractère obligatoire que les lois promulguées par le législatif, seulement si les organes ont été autorisés par le législatif.
Dans ce cas, le législatif est à l’origine des normes de façon indirecte, puis qu’il délègue sa compétence législative.
II. LES NOUVEAUX PARADIGMES
1. La fonction législative et judiciaire du pouvoir exécutif
Nombre de constitutions qui ont adopté la séparation des pouvoirs autorisent le chef du pouvoir exécutif à émettre des normes générales à la place du congrès ou du parlement sans qu’il y soit autorisé par une loi lui conférant cette faculté extraordinaire, lorsque des circonstances spéciales (rupture de l’état de normalité) se présentent.
Il existe aussi des organes du pouvoir exécutif appelés à remplir les fonctions de tribunaux ou de juges. Lorsqu’il y a des cas de dettes fiscales à faveur de l’État, des fonctionnaires publics sont investis de façon transitoire des fonctions de juges.
Malgré les cas exposés ci-dessus, il faut souligner que les actes spécifiques de l’administration sont différents de ceux de la branche judiciaire dans la mesure où l’exécutif peut agir seulement en coopération avec le judiciaire. C’est pourquoi, il est tout à fait naturel de conférer certaines attributions judicaires aux organes administratifs quand il y a une connexion directe avec la fonction administrative spécifique.
2. Les commissions d´enquête des congres: entre le contrôle politique et la fonction judiciaire.
Ce sujet de contrôle et surveillance exercés par le parlement et le congrès a fait l’objet de très peu de travaux d’investigation1 qui portaient sur la nature du contrôle parlementaire: celui-ci est-il un contrôle politique ou un contrôle juridique?
Avant d’aborder le sujet, il faut préciser que les commissions d’enquêtes sont différentes des autres commissions. Elles sont composées de congressistes, ont les facultés de convoquer des hauts fonctionnaires ainsi que des particuliers et d’accéder à tout document utile (Santaolla, 1989 p.152).
Leur mission est d’examiner une anomalie, un acte ou omission de certains sujets pouvant être convoqués, accusés et pénalisés selon la loi en vigueur.
Il y a eu de nombreux débats sur la nature de ces commissions d›enquêtes. Quelques essayistes affirment que celles-ci sont un moyen de contrôle politico-parlementaire, et une prérogative politique du parlement dans sa fonction de régulation.
Le contrôle parlementaire est pour certains auteurs comme Fernando Santaolalla López, Joaquín García Morillo, José Montero-Gilbert, de nature juridique car sa source est la Constitution Politique (Si son origine est une norme juridique, alors le contrôle est juridique) et pour d›autres, Cecilia Judith Mora- Donato et Juan Pablo Abreu, de nature politique.
Ces derniers soulignent son caractère subjectif; en effet, il n’y a pas de canon fixe et prédéterminé d’appréciation de l’action du gouvernement, ce qui signifie que la décision finale prise par la commission d’enquête obéit à des mobiles politiques, d’autant plus que les membres de celle-ci sont des hommes politiques.
Pour notre part, nous pensons que ces commissions sont essentiellement de nature politique et que, seule, la commission du congrès qui enquête sur les hauts fonctionnaires de l’État peut avoir une composante juridique plus significative.
3. L e rôle des législateurs positifs des tribunaux constitutionnels.
Les tribunaux constitutionnels ont traversé trois étapes avant de devenir de véritables législateurs juridiques actifs:
Le célèbre cas Marbury vs.Madison est le leading case de la Cour Suprême des États Unis. Le plus grand tribunal américain a argumenté qu’une loi inférieure ne pouvait être appliquée s’il y avait violation de la Constitution de 1776 et que par conséquent celleci était déclarée inconstitutionnelle et inapplicable dans le cas judiciaire concret, avec des résultats seulement entre les parts du procès.
Cependant, cette loi viciée d’inconstitutionnalité est toujours en vigueur et doit être théoriquement appliquée dans toutes les situations où elle n’est pas judiciairement contestée.
Le régime « d›inapplication » se trouve considérablement modifié lorsque le plus important organe de constitutionnalité confère des résultats expansifs, cuasi erga omnes o erga omnes sui generis à ses décisions qui obligent les juges d’instances inférieures à suivre ses directives dans tous les cas qui leur sont soumis. Aux États Unis, on a recours au système stare decisis ou valeur du précédent et en Amérique Latine (v.g la Colombie, le Pérou, l’Argentine), à la doctrine de “efecto vinculante, aunque condicionado”
Cela se produit quand Hans Kelsen propose que son Tribunal Constitutionnel spécialisé déroge, c’est-àdire élimine le précepte inconstitutionnel avec des effets erga omnes. Cet agissement est cohérent puisqu’il n’y a aucune raison qu’une norme violant la Charte Politique continue d’exister.
La juridiction constitutionnelle élargit son champ d’action: non seulement elle décide de l’inapplication ou du retrait d’une norme non conforme à la constitution mais aussi génère des règles jurisprudentielles obligatoires de caractère infra constitutionnel, chaque fois qu’il y a des lacunes ou des vides juridiques. Il est des pays où la juridiction constitutionnelle va au-delà encore en ordonnant au Pouvoir Législatif ou Exécutif d’obéir à ses décisions. Il y a alors création de règles de droit coutumier constitutionnel, lesquels sont considérées parties de la même la constitution.
5. Le “gouvernement des juges”
“Dieu nous protège de l’équité de nos Parlements!”. Voilà la formule résumant la méfiance des révolutionnaires français face au Gouvernement des juges ou gouvernement des juges de l’Ancien Régime.
Au XVIIIe siècle, les Français remettaient en question le droit que s’arrogeaient les magistrats de rejeter les ordonnances royales qui contenaient les réformes préconisées par Louis XV et Louis XVI et de juger selon leur propre sens de l’équité et leur volonté en dépit de la loi.
En fait ces derniers agissaient ainsi parce que les ordonnances limitaient leurs droits et privilèges personnels. L’interdiction faite aux juges de s’immiscer dans le domaine législatif et exécutif, ainsi que l’obligation imposée au tribunal de cassation de recourir aux parlementaires en cas de doute sur l’interprétation de la loi (Constitution française de 1791) sont les conséquences directes de l’expérience française du XVIIIe siècle. La tradition française a une conception rigide de la séparation des pouvoirs, surtout lorsqu’il s’agit de l’influence du pouvoir judiciaire sur l’exécutif. Par contre elle est laxiste quand il s’agit de celle de l’exécutif sur la judiciaire.
L’expression de “Gouvernement des juges” a toujours eu une connotation négative synonyme de fausse démocratie ou démocratie distortionnée. La théorie constitutionnelle classique ne contemple que trois systèmes de gouvernement: la monarchie, l’aristocratie et la démocratie. La théorie n’a jamais considéré la possibilité d’un gouvernement dans lequel les juges détiendraient le pouvoir. Cette expression définit un gouvernement où les juges dominent dans la vie politique au détriment de la légitimité démocratique et de la responsabilité politique.
Cette thèse du “gouvernement des juges”, c’està- dire d’un gouvernement sans légitimité, ni responsabilité, ni capacité de répondre aux demandes sociales, est née aux États Unis d’Amérique sous la présidence de Theodore Roosevelt en 1903. Celuici critiquait le “darwinisme juridique” ambiant ou la prééminence du droit venant du Tribunal Suprême fédéral et condamnait toute intervention des juges dans le domaine économique. Le président a alors censuré le rôle de législateur irresponsable que les juges américains s’étaient approprié.
En Europe, Edouard Lambert a développé cette idée dans son livre publié en 1921 “ Le gouvernement des juges” avec en sous-titre: “ La lutte contre la législation sociale aux États Unis. L’expérience américaine du contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois”.
Cet auteur et son étude comparative ont fait avancer la réflexion juridique européenne du début du XXe (avec Kelsen et Schmittt) sur le rôle du juge dans la conception moderne de l’État.
C’est après avoir analysé la jurisprudence nordaméricaine des XIXe et XXe siècle qu’ils sont arrivés à la conclusion suivante: Le système nord-américain judicial review altère le principe de séparation des pouvoirs.
Nombreux sont les auteurs, français principalement, qui ont continué de débattre sur ce thème. Hugues Portelli écrit:
“Le risque du contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois est que la représentation politique et les gouvernants de domaines éminemment politiques, principe fondamental et base de la vie sociale, soient remplacés par la juridiction”.
Sur le plan des principes politiques, le gouvernement des juges (ou volonté des juges supérieure à la loi) viole deux idées fondamentales, piliers des régimes occidentaux: la toute-puissance de la loi et la représentation démocratique. Si la volonté des juges déplace la loi qui est le résultat direct de l’expression de la volonté populaire, alors la démocratie est bafouée.
Le constitutionnaliste français l’a expliqué ainsi:
“Nous sommes en présence d’un gouvernement des juges dès lors que ceux-ci peuvent prendre des décisions politiques allant à l’encontre de celles des élus”.
Nous sommes loin de la division classique du pouvoir faite par Montesquieu. Selon Tropper, le fait que les juges prennent des décisions politiques semble être une contradiction puisque les juges se prononcent pour des raisons de légalité et non d’opportunité.
Tropper présentent quatre caractéristiques qui permettent de reconnaître le gouvernement des juges:
Ardant est d’accord sur ce point: “Il y a gouvernement des juges lorsque le juge constitutionnel va contre la volonté du législateur. Il n’y a rien de plus choquant qu’un juge se comportant comme le supérieur des Représentants de la nation. S’il venait à se produire une situation semblable en étant bien d’accord qu’elle ne pourrait se produire, du moins en France, ce serait intolérable et des conflits graves s’en suivraient.”
III. EN GUISE DE CONCLUSION: REPENSER LE MODELE DE MONTESQUIEU. UNE PROPOSITION AJUSTEE A L’ETAT MODERNE
Les modèles de Montesquieu et Locke, toujours appliqués actuellement, ont été créés il y a trois siècles pour des États aux institutions plus simples que celles des démocraties constitutionnelles actuelles et qui se limitaient à la fonction pénale, au maintien de l’ordre public à l’intérieur du pays et à la défense militaire à l’extérieur.
La séparation des pouvoirs protégeait la fonction législative et judiciaire du pouvoir absolu du monarque. Il fallait garantir cette séparation et indépendance.
Ce modèle appliqué à nos démocraties actuelles, a été déterminant pour la construction de l’État de droit moderne, puis qu’il a permis de garantir la suprématie du parlement et l’indépendance du pouvoir judiciaire. Par contre, toutes les autres fonctions administratives de garantie propres à l’État social moderne (santé, éducation, sécurité sociale, travail) incombent au pouvoir exécutif, (ou à la fonction de gouvernement), et se regroupent derrière la vague étiquette qui comprend tout de l’administration publique” (Ferrajoli 2009) qui inclut également les fonctions administratives auxiliaires: la diplomatie, la sécurité publique, la gestion de la politique macroéconomique et fiscale.
Il semble donc que la séparation tripartite de Montesquieu est insuffisante face à la complexité de l’État moderne où les fonctions de l’exécutif se sont multipliées.
Ferrajoli va dans le même sens et explique que la proposition du baron est inadéquate sur le plan descriptif puis qu’elle est démentie par tous les systèmes politiques parlementaires dans lesquels le gouvernement obtient la confiance des Chambres et où la relation entre l’ exécutif et le législatif n’est pas une séparation mais une division: en cas de conflit, c’est à l’exécutif de se soumettre au législatif.
BIBLIOGRAPHIE